Trois ans après le début de la pandémie de Covid, le cinéma semble enfin retrouver des couleurs. La fréquentation des salles retrouve un niveau identique à celui du monde d’avant. Le rayonnement du cinéma français à l’international, largement porté par le succès fulgurant d’Anatomie d’une chute, va jusqu’à faire frémir notre gouvernement. La prise de parole vivement critiquée de Justine Triet lors de la remise de sa palme d’or témoigne de la lutte permanente de notre cinéma indépendant constamment réduit à sa non-rentabilité (comme si l’art ne devait être considéré que comme un simple produit) et effrayé à l’idée de se faire dévorer par les blockbusters (américains comme européens). Anatomie d’une chute a cumulé 1 300 000 entrées dans l’hexagone et obtenu un large succès critique, un véritable pied de nez à ses jaloux détracteurs.
Si le cinéma français aura été au centre des discussions en 2023, et apparaît à deux reprises dans notre top, il faut bien se rendre à l’évidence que les meilleurs films de cette année viennent de tous les continents. Pas moins de sept pays sont représentés dans ce top, naviguant des terres troublées de l’Oklahoma de Scorsese jusqu’aux contrées les plus reculées d’Anatolie chez Ceylan, en passant par les forêts anarchistes de la Suisse dans Désordres. Le cinéma de 2023 est un cinéma d’extérieur et de nature : les champs où naît le péché de L’Été dernier, la neige ensanglantée de Justine Triet ou encore la forêt de conte de Beau Is Afraid en sont de brillants exemples.
Mais 2023 marque aussi le retour en force des vieilles branches : Spielberg, Kaurismäki, Scorsese ou encore Miyazaki retrouvent les gestes de cinéma qui ont caractérisé leurs plus belles années. Les Feuilles mortes (notre indiscutable grand gagnant) et Le Garçon et le héron ont l’énergie des premiers films, tandis que Scorsese et Spielberg prolongent leurs thématiques adorées : l’enfance chez le roi du blockbuster, la violence sourde et pernicieuse chez le vieux new yorkais.
Enfin, 2023 est surtout une année de transmission où les jeunes cinéastes que sont Ari Aster, Triet, Schäublin (dont c’est seulement le second long-métrage) ou dans une certaine mesure, Alice Rohrwacher, viennent se confronter aux cinéastes habitués des festivals. En attendant, tandis que les plus vieilles générations de réalisateurs s’éteignent avec les hommages qu’ils méritent (une pensée émue pour William Friedkin, Jacques Rozier ou Carlos Saura), célébrons encore la diversité des âges et des nationalités qui composent ce top.
1- LesFeuillesmortes d’Aki KaurismäkiL’amour à la finlandaise se conjugue au présent et dans le cadre sinistre d’une ville industrielle. Mais le réalisme de Kaurismaki est teinté d’une douce ironie. Dans Les Feuilles mortes, il transforme le chassé-croisé de deux célibataires moroses en un gracieux hommage à la comédie romantique et au cinéma.
Que cherche donc Arthur, ce Britannique piteux qui débarque un jour sans valises dans les campagnes italiennes ? Entraîné dans de picaresques chasses aux trésors à la tête d’une troupe de tombaroli, ces pilleurs de tombes étrusques, le jeune homme captive par l’étrangeté de son don et la détresse de sa quête. Dans ce regard douloureusement absorbé passe toute la magie de La Chimère, film vertigineux et fable cruelle sur le sens du vide.
Notre critique complète de La Chimère ainsi que notre entretien avec la réalisatrice
3 ex aequo – Anatomie d’une chute de Justine Triet
Fêtes de fin d’année obligent, on tranchera dans les biscuits de 2023 avec un jugement à l’emporte-pièce (format sapin suisse) : si la chute vole au vent et aussi haut, c’est grâce à la meilleure engueulade de l’histoire du cinéma français. Des fauves dotés de parole (Triet/Harari ; Huller/Theis) nous font croire aux pouvoirs névrotiques et hallucinatoires du Récit comme on aimerait encore croire au Père Noël.3 ex aequo – The Fabelmans de Steven Spielberg
Steven Spielberg forme une entreprise qui eut d’illustres exemples. The Fabelmans porte la marque des œuvres-sommes. Le film parvient à embrasser d’un regard familier l’enfance d’un cinéaste et du cinéma tout court (du plus grand chapiteau du monde à la captation du réel). Et le souvenir magnifique des pas de danse d’une Michelle Williams en mère névrosée hantera longtemps notre mémoire de spectateur.
M.S
5- Désordres de Cyril Schäublin
« On est dans le plan ? » demande un des personnages, inquiet. Non. Elle n’y est pas, sans doute cachée par un toit de maison ou une ombrelle, toujours filmée de loin. C’est bien que Cyril Schäublin a à cœur de capturer non pas les seuls individus mais tout le système qui les cadre. En prenant pour point de départ la figure de Pierre Kropotkine, le réalisateur zurichois raconte la cadence de l’usine qui s’accélère et les rêves anarchistes des travailleurs. Sous le calme apparent des paysages suisses, la violence.6- L’Été dernier de Catherine Breillat
Breillat un peu plus sage, Drucker un peu plus sale : ce compromis magnifique engendre une Phèdre tout en fougue et en tourbe dont la partie de campagne/compagne s’engage au-delà du bien et du mal. Dans L’Été dernier, la morale brûle en apparence mais s’affirme incandescente en tant que question passionnelle. Devant l’aplomb monstrueux d’un mensonge prononcé droit dans les yeux et les yeux dans le droit, qui s’inquiètera encore d’un sujet chiant comme la mort (qui couche avec qui et pourquoi) ?H.B
7 ex aequo – Beau Is Afraid d’Ari AsterPour son troisième long-métrage, Ari Aster hybride son cinéma. Comédie, horreur et surréalisme permettent surtout au réalisateur de mettre en scène le sentiment de crainte. Le film est long et éprouvant, comme une crise d’angoisse digne de ce nom.
7 ex aequo – Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan
Plonger dans trois heures de film pour se faire surprendre, au beau milieu, par un plan réjouissant : une rupture de la narration, un regard caméra, un aveu de fiction.
Le reste de ces trois heures ? Samet enseigne le dessin dans un petit village d’Anatolie. Le temps d’une année scolaire, Les Herbes Sèches dépeint toute l’ambiguïté de l’être humain.Grâce à des scènes et des dialogues d’une profonde intelligence, Ceylan saisit la complexité qui réside dans la banalité d’une année dans la vie de quelqu’un.
Louise Morin
9- Killers of the FlowerMoon de Martin Scorsese
Dicaprio n’aura jamais autant cabotiné (et tant mieux) dans ce film de mafia aux allures de faux western. Mais c’est surtout une page invisibilisée de l’Histoire que Scorsese tente de dévoiler aux yeux du monde. L’homme blanc, incarné par le regard cruel et diabolique de De Niro, n’est jamais aussi dangereux que lorsqu’il exploite la loi pour parvenir à ses fins.T.A.L
10- Le Garçon et le héron de Hayao Miyazaki
Dans cette déchirante histoire de deuil, Miyazaki retrouve l’énergie folle de ses premiers films tout en s’interrogant sur la succession de son œuvre colossale. Sa réponse est plus ambigüe que prévue ; son cinéma n’aura jamais paru aussi expérimental que dans les visions envoutantes qui composent ce possible chant du cygne (ou du héron).T.A.L
Top 10 des rédacteurs
Hélène Boons :
- The Fabelmans de Steven Spielberg
- Anatomie d’une chute de Justine Triet
- L’Été dernier de Catherine Breillat
- DirtyDifficultDangerous de Wissam Charaf
- Tár de Todd Field
- LesFeuillesmortes d’Aki Kaurismäki
- ShowingUp de Kelly Reichardt
- Le Gang des bois du temple de Rabah Ameur-Zaïmeche
- Fremont de Babak Jalali
- Astrakan de David Depesseville
Théodore Anglio-Longre :
- Copenhagen Cowboy de Nicolas Winding Refn
- Beau Is Afraid d’Ari Aster
- Killers of the FlowerMoon de Martin Scorsese
- Master Gardener de Paul Schrader
- Désordres de Cyril Schäublin
- The Survival of Kindness de Rolf De Heer
- Love Life de Kōji Fukada
- Le Garçon et le héron de Hayao Miyazaki
- Conann de Bertrand Mandico
- La Romancière, le film et le heureux hasard de Hong Sang-Soo
Marthe Statius :
- TheFabelmans de Steven Spielberg
- Les Feuillesmortes d’Aki Kaurismäki
- L’Été dernier de Catherine Breillat
- La Chimère d’Alice Rohrwacher
- Anatomie d’une chute de Justine Triet
- Misanthrope de Damián Szifron
- Killers of the FlowerMoon de Martin Scorsese
- Le Preneur de rats de Wes Anderson
- ShowingUp de Kelly Reichardt
- Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras
Tristan Duval-Cos :
- Les Feuillesmortes d’Aki Kaurismäki
- La Chimère d’Alice Rohrwacher
- Anatomie d’une chute de Justine Triet
- Le Ciel rouge de Christian Petzold
- Fermer les yeux de Victor Erice
- Tár de Todd Field
- Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck
- L’Enlèvement de Marco Bellochio
- Perfect Days de Wim Wenders
- Anselm de Wim Wenders
Romane Demidoff :
- La Chimère d’Alice Rohrwacher
- L’Été dernier de Catherine Breillat
- TheFabelmans de Steven Spielberg
- Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras
- Anatomie d’une chute de Justine Triet
- Désordres de Cyril Schäublin
- L’Enlèvement de Marco Bellochio
- Le Garçon et le héron de Hayao Miyazaki
- Aftersun de Charlotte Wells
- Pierre Feuille Pistolet de Maciek Hamela
Pauline Ciraci :
- N’attendez pas trop de la fin du monde de Radu Jude
- Beau Is Afraid d’Ari Aster
- Le Retour des hirondelles de Li Ruijun
- Désordres de Cyril Schäublin
- La Chimère d’Alice Rohrwacher
- Anatomie d’une chute de Justine Triet
- Le Capitaine Volkonogov s’est échappé de Natalya Merkulova et Aleksey Chupov
- Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand
- Yannick de Quentin Dupieux
- Le Cygne de Wes Anderson
Tristan Tailhades :
- Les Feuillesmortes d’Aki Kaurismäki
- Désordres de Cyril Schäublin
- ShowingUp de Kelly Reichardt
- La Chimère d’Alice Rohrwacher
- The Creator de Gareth Edwards
- Un Prince de Pierre Creton
- Passages d’Ira Sachs
- Asteroid City de Wes Anderson
- Anatomie d’une chute de Justine Triet
- Love Life de Kōji Fukada
Sylvain Métafiot :
- Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan
- Le Garçon et le héron de Hayao Miyazaki
- TheFabelmans de Steven Spielberg
- Babylon de Damien Chazelle
- Les Feuillesmortes d’Aki Kaurismäki
- Limbo de Soi Cheang
- La Romancière, le film et le heureux hasard de Hong Sang-Soo
- Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand
- Aftersun de Charlotte Wells
- L’Enlèvement de Marco Bellochio
Louise Morin :
- Asteroid City de Wes Anderson
- Anselm de Wim Wenders
- Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan
- Les Feuilles mortes d’Aki Kaurismäki
- Yannick de Quentin Dupieux
- Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese
- Vers un avenir radieux de Nanni Morreti