Dans l’affrontement planétaire entre soft powers pour le contrôle de l’IA et de nos imaginaires, Disney frappe un grand coup en ressuscitant sa franchise visionnaire avec un nouveau volet ultra-numérique visuellement vertigineux, vitrine de ce que peut la firme. Peu importe qu’il floppe ou non, ce film est l’équivalent d’un « concept car » : Disney y déploie tout son arsenal technologique et narratif pour nous convaincre que l’IA nous veut du bien. Et on n’est pas loin d’y croire.

Lors de mes études d’anthropologie à la SOAS, j’ai pu étudier, au tournant du siècle, à quel point les films de Disney participaient fortement de la dissémination planétaire de l’idéologie libérale individualiste (au sens que donne Louis Dumont (1) à ce terme, l’opposant au holisme), cet idéal de vie fortement centré sur l’émancipation et l’accomplissement de soi, en racontant encore et toujours l’histoire d’un individu qui brise ses chaînes, trouve sa propre vérité, s’empare de sa vie en dehors du rôle qui lui est assigné par la tradition, afin d’écrire son propre destin et de vivre sa vie à son plein potentiel.
Tout ça pour dire : Disney est une machine de guerre culturelle, un outil de propagande hors norme qui façonne depuis plus de soixante-dix ans (les premiers longs métrages) non seulement l’imaginaire et la psyché de l’humanité planétaire, mais, en conséquence, nos modes de vie — au sens consommatoire — et la vie elle-même, le rapport de chacun à soi, à sa famille, à sa propre histoire. Depuis dix ans à peine, il est secondé en cela par Netflix, et il n’est que de voir les productions « locales » de la plateforme sur ses différents marchés pour mesurer à quel point ces schémas narratifs, véhiculant l’ethos libéral-progressiste californien, sont devenus à tout le moins incontournables, voire incontestables.
Aujourd’hui, le combat pour le contrôle de nos consciences est monté d’un cran : les IA s’immiscent toujours plus profondément, et toujours plus sournoisement, dans nos cerveaux, influençant nos désirs, nos affects, nos indignations comme nos relations et nos occupations professionnelles. La bascule anthropologique et civilisationnelle en cours est sans doute plus profonde encore que ne le furent l’invention de l’écriture, de l’imprimerie ou de l’électricité, et sans doute plus terrible – c’est toute l’organisation sociale, tout ce qui fonde notre humanité qu’il faut repenser : l’emploi, l’apprentissage, l’amour, la conscience, la création artistique, Dieu… D’ores et déjà, on a pu mesurer cet impact sur la vie politique, au niveau global comme national. Celui qui contrôlera l’IA contrôlera le monde, dans toutes ses dimensions.
Dans les métiers dits « créatifs », le choc s’annonce plus ravageur encore : les IA écrivent déjà des livres et des scénarios plus « efficaces » (et infiniment plus rentables) que ceux des humains, qui satisfont pleinement des « consommateurs » heureux d’y trouver là des produits satisfaction guaranteed. Elles créent des images toujours plus séduisantes, produites de manière plus maîtrisable que lorsqu’elles le sont par des artistes humains (dont il faut gérer les aléas, incertitudes, humeurs et caprices), tout en pillant leurs créations et sans leur octroyer la moindre rémunération (ni reconnaissance).
Aussi, lorsque Disney, gigantesque machine de propagande, l’un des principaux employeurs et révélateurs de talents à l’échelle planétaire, fortement et historiquement impliqué dans le développement et l’utilisation des IA (tant pour la création de contenus, la réalisation d’effets spéciaux que la compréhension de ses « consommateurs »), sort un film sur le sujet, on tend l’oreille – ou plutôt on ouvre les yeux et on chausse ses lunettes 3D.
“Disons-le vite : pour peu qu’on ne soit pas allergique aux blockbusters, ni aux scénarios campbelliens (2), le film est une espèce d’énorme gourmandise tout en néons fluos et noir haute définition, festival psychédélique sur fond d’électro Nine Inch Nails, un space trip diablement efficace et jouissif.”
C’est peu dire que le premier volet de Tron, sorti en 1982, était...

















