Un carré de poussière est le cinquième ouvrage de l’autrice et musicienne québécoise Olivia Tapiero. Ce recueil de poésie composé de neuf sections se présente comme une enquête polyphonique, aux allures d’oracle et de trahison. Autant de partitions pour une même voix, qui, à la manière de la pensée, se répète en boucle – ou plutôt de façon circulaire, pour mieux se déprendre, s’intensifier et se métamorphoser.

Quelles voix ont les poétesses ? Quels effets sur le monde et sur nos corps ont ces voix ? Une parole s’énonce parfois, factuelle ou métaphorique, pour produire une déflagration. Dans ce recueil en proses, Olivia Tapiero revêt à la fois le rôle de sibylle et de détective. Dès l’incipit, elle nous renvoie à la Grèce antique avec la figure de la prophétesse. Cependant, la poétesse ne se veut pas l’entremetteuse d’une autorité transcendante. Contrairement à la Pythie, qui prête sa gorge et son « larynx » à une divinité, la sybille, elle, parle en son nom. Elle assume son individualité, son « je » et son interprétation. Heuristique et sensible, son discours est situé : il surgit du corps pour mieux s’ancrer en lui. Jamais ce corps – ces organes, ce sexe, ce genre et cette « main négative », n’ont été séparés de l’esprit.
Contre la raison ?
Pour déployer une langue qui lui soit propre, la poétesse fouille le langage commun et creuse sous les images. Par le biais de la répétition et de l’effacement systématique, elle morcelle l’idéologie rationaliste dans laquelle elle a grandi, les mots et les mécanismes de pensée qui lui (nous) ont été transmis dès l’école, dans les pages cornées de nos livres et de nos souvenirs :
« À présent percée, frappée de lumière, j’avance dans la poussière et contre la raison. »
Comme une rengaine entêtante, la thèse principale de cet ouvrage s’érige contre la rationalité, contre la philosophie occidentale, contre ses relents misogynes, meurtriers et écocides. Le terme polysémique de “contre” révèle la méthodologie de travail d’Olivia Tapiero : c’est avec et en opposition à cette tradition de la pensée que se construit son texte. Arpenteuse des non-lieux et de la boue, la poétesse part à la recherche d’une vérité enfouie sous les apparats de la civilisation. Elle mène l’enquête dans les tréfonds de l’humanité. Pour ce faire, elle s’allonge sur le sol, parmi les insectes grouillants et les fantômes.
« Des champignons me poussent dessus. Mes dents s’infectent et des plantes se déplient dans les artères de mon cœur. Je suis horizontale. »
Comme une rengaine ent...