Avec son premier film, Benh Zeitlin adopte le point de vue d’une enfant née dans le bayou, sans faux semblants ni fausses notes. Acclamé dans de nombreux festivals, il décrit magnifiquement les réflexions enfantines face à un monde qui change.
« L’univers marche bien quand tout est à sa place. » Hushpuppy, cheveux soleil et bouille d’ange promène ses bottes blanches dans le bayou. Du haut de ses 6 ans, elle va à l’école en bateau à moteur, prend soin de ses animaux de compagnie (chats, poules, sanglier…) et mange des crevettes fraîchement pêchées au petit-déjeuner. Elle cohabite avec un père alcoolique mais aimant dans une maison faite de bric et de broc. Entre le capharnaüm de son logis et les méandres des marécages de Louisiane, la fillette se construit en osmose avec la nature. « Tout le temps, partout, tous les cœurs battent. »
Eux, au sec. Nous, sous l’eau.
Dès le début du film, Benh Zeitlin se place à la hauteur de Hushpuppy. Caméra à l’épaule, les plans sont serrés, parfois hésitants, voire étouffants. Cela a le mérite de nous plonger immédiatement dans l’univers merveilleux de l’enfant. Nous marchons dans les traces qu’elle laisse dans la boue du bayou. Nous partageons avec elle la vie festive de la communauté du Bassin. Une vie faite d’insouciance, les pieds dans l’eau et l’âme au chaud, enivrée de liberté. Les gens du Bassin sont sûrement plus heureux que les mangeurs de burgers au poulet, de l’autre côté de la digue. Là-bas se déploie le monde sec : « Ils pensent qu’on sera tous noyés mais nous on partira pas. On reste ici parce que la terre est à nous », résume simplement Hushpuppy. Une division manichéenne du monde construite par les adultes et reprise par l’enfant. La voix off de Quvenzhane Wallis, l’actrice remarquable qui incarne Hushpuppy, rythme le fil du récit. Une voix assurée et rassurante. Une voix qui croit en ce qu’elle voit, qui croit aussi aux mondes imaginaires qu’elle s’invente…
Réparer l’univers
Et que se passe-t-il quand le monde se détraque ? Quand la tempête s’abat sur le bassin, que l’eau monte et que les habitants doivent fuir leur maison ? De l’autre côté de la digue, eux sont au sec. Impossible de ne pas voir en filigrane l’ombre de l’ouragan Katrina qui dévasta la Nouvelle-Orléans en 2005. Sur le bassin, alors que l’eau a tout envahi, il ne reste qu’une dizaine d’irréductibles en compagnie de Hushpuppy et de son père. « C’est mon boulot de t’empêcher de mourir ! » lui assène-t-il en lui mettant des brassards. L’enfant a peur. Mais heureusement, Benh Zeitlin ne tombe jamais dans la catastrophisme. Devant sa caméra, Hushpuppy va prendre son destin en main. « Si on répare un morceau, tout sera comme avant. Quand on est petit, on essaye de réparer ce qu’on peut. » Menacée par des problèmes d’adultes, la fillette les résout à son échelle. Comme les premiers hommes dans les grottes de Lascaux, elle laisse sa marque en dessinant son histoire sur les murs de sa maison. Hushpuppy s’échine aussi à trouver de la nourriture pour son père malade. Elle guette surtout l’arrivée des aurochs préhistoriques, libérés des glaces par le réchauffement climatique…
Le réalisateur trentenaire ne s’est pas trompé en choisissant Quvenzhané Wallis. Le charisme de l’enfant, qui n’avait jamais joué dans un film auparavant, illumine Les bêtes du sud sauvage. A travers son regard enfantin mais loin d’être naïf, Benh Zeitlin nous confronte aux problèmes écologiques actuels, au conformisme et à l’injustice. Dans son film poétique porté par une très belle bande originale, Hushpuppy découvre aussi l’entraide et la solidarité. Un film aux yeux d’enfants dans lesquels se reflète le désir de vivre libre.
Lola Cloutour