Avec Wahou! Bruno Podalydès offre une comédie subtile sur deux agents immobiliers. Entre déboires de vente et clients inattendus, ce nouveau long-métrage brosse en creux un portrait tendre et amusé de la vie moderne.
Il faut connaître son produit, disent-ils, et être irréprochable sur l’orientation du bien, mettre en valeur sa luminosité, sa position idéale au sein de la commune qui le place à égale distance des commerces, du parc et de la gare, tout en échappant aux éventuelles nuisances générées par ces lieux. Catherine (Karin Viard) et Oracio (Bruno Podalydès) sont agents immobiliers et mettent toutes leurs forces à vendre deux biens : un appartement sis dans le « triangle d’or » de Bougival, et une affable demeure bourgeoise avec « quelques travaux à prévoir ». Ce nouveau long-métrage de Bruno Podalydès marie avec charme le rire et la mélancolie. Dans la lignée de ses comédies douce-amères, telles Liberté-Oléron, ou Adieu Berthe, Wahou! met en scène un moment qui arrive au moins une fois dans une vie : l’emménagement, et le choix d’un lieu de vie. Modeste dans sa forme comme dans son propos, le film déroule un fil d’Ariane de multiples existences, où se font jour les désirs des uns et des autres. La galerie de personnages qui traversent ces lieux laisse entrevoir les vies en construction — comme celles de ce couple, arrivé en vélo pliable — et les existences accomplies. De manière symbolique, le film s’orchestre selon deux lieux distincts mais récurrents : l’ancienne maison bourgeoise et l’appartement moderne refait à neuf. Manière d’inscrire dans les lieux le temps passé et le temps à venir, l’ancien et le nouveau. Pour les deux agents immobiliers, l’essentiel est pourtant d’impressionner le chaland. Il est tenu de s’extasier conformément au nom de l’agence : Wahou!
Modeste dans sa forme comme dans son propos, le film déroule un fil d’Ariane de multiples existences, où se font jour les désirs des uns et des autres.
La vie entre quatre murs
Le décor une fois planté, se déploie, comme sur une scène de théâtre, une suite de saynètes faisant apparaître des personnages tantôt drôles et attachants, tantôt tristes et inquiétants. Faisant de la visite d’appartement un révélateur des désirs et de l’humanité de chacun, Bruno Podalydès trace, pour ainsi dire, une étude de mœurs de la vie moderne, offrant un tableau drolatique des réactions des personnages devant leur potentiel lieu d’habitation. Le film s’ouvre avec cette troupe de chanteurs enthousiastes qui mesurent la qualité de la maison à la résonance de leurs voix dans les pièces ; vient ensuite ce couple de bourgeois avec Madame enthousiasmée par les lieux, et Monsieur ronchon qui envisage immédiatement quelles cloisons seront abattues pour modifier l’espace. Par ces comportements spontanés, c’est le rapport des gens au monde qui se fait lentement jour : la violence sourde avec laquelle on envisage d’abattre tel arbre centenaire au bout du jardin comme témoignage d’une vision purement instrumentale du lieu, ou au contraire la volonté de s’insérer dans l’histoire de la demeure, à l’instar du personnage incarné par Isabelle Candelier.
Multipliant les gags, et les dialogues loufoques, à l’instar des échanges entre Oracio et son jeune stagiaire Jim, le film se trouve également nimbé d’une atmosphère de mélancolie. L’emménagement marquant toujours le début ou la fin d’une ère, toutes les scènes prennent le sens de moments-clés d’une existence. Le couple des propriétaires de l’ancienne demeure incarne en ce sens une forme de mémoire s’étendant sur des décennies, et développant par là un rapport singulier aux lieux, toujours chargés de souvenirs. Seuls personnages toujours cantonnés au même et unique lieu — la maison bourgeoise —, ce couple endosse le rôle de jonction entre un monde révolu, prenant corps dans les murs fatigués de la demeure, et la modernité galopante qui est montrée par les apparitions régulières, souvent vécues comme des intrusions, des agents immobiliers. Dans cette incessante valse de personnages colorés, le comique affleure par l’incongruité des situations — tel ce visiteur mutique incarné par Denis Podalydès —, ou par le quiproquo malicieux, telle la séquence où Roschdy Zem pense devenir grand-père. Comme souvent dans les films de Bruno Podalydès, le comique naît d’un subtil dérèglement d’une situation qui semble au premier abord parfaitement normale. Petit à petit, les personnages se trouvent empêtrés dans une situation qui finit bien souvent par leur échapper.
Il y a quelque chose de Jacques Tati dans ce film empli de tendresse pour ces petits rien de l’existence.
L’intime nostalgie
Réglé comme du papier à musique, Wahou! possède une dimension éminemment théâtrale. Le film livre en creux une métaphore de l’imagination cinématographique : toutes les scènes se déroulant dans l’appartement moderne offrent un décor nu à partir duquel les visiteurs projettent leurs envies et leurs idées d’aménagement. Manière d’inscrire dans le scénario une mise en abyme de l’art de la de mise en scène. Chef d’orchestre paradoxal de cette symphonie aux multiples mouvements, Bruno Podalydès incarne un homme parfois aussi perdu que les clients qu’il accompagne. Oracio n’a en effet pas choisi ce métier par vocation, il l’exerce suite à une reconversion professionnelle et ne le conçoit que comme provisoire. Personnages plus complexes qu’ils ne le paraissent au premier abord, les deux agents immobiliers incarnent une forme de permanence des relations humaines : cantonnés à un métier pourtant purement transactionnel, ils sont en fait le maillon qui relie tous les personnages du film les uns aux autres. Il y a quelque chose de Jacques Tati dans ce film empli de tendresse pour ces petits rien de l’existence. À l’instar d’un Monsieur Hulot, parapluie sous le bras et enfourchant son solex, Catherine ou Oracio montent en scooter, et se prennent souvent les pieds dans le tapis des mots et des émotions. Ainsi cette scène où Catherine, encore meurtrie par une rupture amoureuse, fond en larmes quand elle fait visiter un appartement. Les agents immobiliers jouent en ce sens le rôle singulier de réceptacle des différentes émotions qui traversent les êtres. Dès lors, la recherche d’un appartement s’offre comme le prétexte pour fournir une épure des relations humaines et des réactions de chacun devant l’inconnu. On passe ainsi d’une scène éminemment comique où deux frères promoteurs immobiliers se disent intéressés par le terrain de la maison bourgeoise, au moment émouvant où une femme visite un appartement pour sa mère en perte d’autonomie qui risque de confondre la télécommande de contrôle des volets roulants avec celle de la télévision.
Tout le charme des films de Bruno Podalydès se retrouve dans ce long-métrage : on trébuche sur une glaviole traînant sur le sol, on lit Tintin, et surtout on retrouve les acteurs qui accompagnent le cinéaste depuis plus ou moins longtemps : Sabine Azéma ou Isabelle Candelier, pour ne citer qu’elles. Nouveau venu dans l’univers de Bruno Podalydès, Victor Lefebvre incarne Jim, le stagiaire d’Oracio qui l’accompagne dans ses visites. Endossant le rôle d’un spectateur intégré à la scène, le personnage de Jim peut être vu comme le regard de la caméra, ce regard qui prend la distance nécessaire et juste par rapport aux évènements mis en scène. Comme une manière d’introduire une fissure de drôlerie dans un monde bien souvent empâté dans son esprit de sérieux, ce personnage opère comme le mètre-étalon de l’absurdité des situations : il répond à la place d’Oracio pour le contredire, donne des informations qu’il faudrait taire, déstabilise par sa candeur et sa spontanéité. En ce sens, il incarne une forme de jeunesse insouciante que les divers personnages ont irrémédiablement perdue. Comme le dit Oracio, mi-admiratif, mi-nostalgique « il émet des hypothèses sur la vie, je trouve ça sympathique, non ? ». Délaissant la complexité qui caractérisait Les Deux Alfred, Bruno Podalydès revient avec Wahou! à une forme de spontanéité et de simplicité bienvenue dans un film qui conjugue avec bonheur l’humour et la tendresse mâtinée de nostalgie. Pour notre plus grande joie : wahou !
Wahou!, un film de Bruno Podalydès, avec Karin Viard, Bruno Podalydès, Sabine Azéma, Eddy Mitchell. En salles le 7 juin 2023.