Anna Akhmatova : La plume contre le fer - Zone Critique
Anna Akhmatova : La plume contre le fer
Anna Akhmatova
Anna Akhmatova
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Si ses premières années furent marquées du sceau de la légèreté et de l’insouciance, le vent tourne rapidement pour Anna : mariages malheureux d’abord, misogynie crasse des cercles littéraires ensuite ; et puis, comble de l’horreur, la dictature stalinienne faisant suite à la sanglante révolution bolchevique – dont elle connut les deux moments.

Une vie de souffrances

De ces années de terreur, il faut retenir la mort successive de ses amours et amis, parmi lesquels comptent notamment Mandelstam, Goumilev, ou encore Marina Tsvetaïeva. Il faut retenir l’emprisonnement de son fils pour trahison envers le régime, emprisonnement qui lui restera insoutenable. Seule, princière et spectrale, elle traverse le XXe siècle russe, auréolée de souffrance et de désespoir, qui ne l’empêcheront jamais de continuer d’écrire, malgré la violence qui jalonne et trace les contours de son existence. 

Pourquoi lire Anna Akhmatova ?
1Parce que ses textes, souvent moqués et taxés de mièvrerie, rendent hommage à la poésie du quotidien, cette surface sur laquelle nous glissons sans en percevoir l’indicible et profonde beauté.
2Parce que ses poèmes sur les violences domestiques font d’elles une figure de proue du féminisme littéraire, aux côtés de Virginia Woolf, qui dénonce le servage de la femme, au même moment en Angleterre.
3Parce qu’elle prouve que la plume ne se brise pas au contact du fer, et que la voix féminine a autant, et même peut-être plus de dignité dans ses protestations enragées, que les violences masculines perpétrées au nom de la liberté.
4Parce qu’elle a fait de la douleur d’une mère amputée de son fils un hymne qui résonne dans la poitrine de tous les parents orphelins de leurs enfants.
5Parce que sa poésie est absolument sublime – lorsque la réalité devient un argument à lui-seul, c’est que cette réalité vaut le détour…
Extraits

Chapelet (1914)

Sans le vouloir, les yeux demandent

Grâce. Que dois-je faire d’eux

Quand en ma présence on prononce

Un nom bref et qui sonne haut ?

Je marche en suivant le sentier 

Près d’un long tas de bûches grises.

Il passe ici un vent léger,

Capricieux, frais, comme au printemps.

Et le cœur las sent qu’on lui parle

En secret de ce qui est loin.

Je sais bien : il vit, il respire,

Il ose ne pas être triste.

1912

Requiem

Avant-propos

Dans les terribles années de la tyrannie de Iéjov, j’ai passé dix-sept mois à faire la queue devant la prison à Léningrad. Une fois, quelqu’un m’a « identifiée ». Alors la femme aux lèvres bleues qui était derrière moi – elle n’avait évidemment jamais entendu mon nom – s’est réveillée de cette torpeur qui nous était propre à toutes et m’a demandé à l’oreille (là tout le monde parlait en chuchotant) :

– Et cela, vous pouvez le décrire ?

Et j’ai dit :

– Je peux.

Alors quelque chose comme un sourire est passé sur ce qui autrefois avait été son visage.

1er avril 1957

Léningrad

Un article par Pauline de Toffoli, le 25 juin 2024
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Anna Akhmatova
Poétesse

Anna Akhmatova est une poétesse russe née en 1889 et morte en 1966 : entre ces deux dates, ce sont 76 ans de légende et de magie qui se déploient. Elle n’est pas simplement poétesse ; elle est un Poème. Sa vie, séquencée de drames intimes et nationaux, continue de palpiter dans les recueils qu’elle lègue à son peuple et au monde entier.

Rédactrice en littérature.

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