Parfois quand j’arrive, je retrouve ton odeur. Et je ne peux pas continuer. Je descends du train et je ne peux pas continuer. Alors je garde mon tee-shirt trois jours pour ne pas te perdre.

Le train traverse les dunes blanches des maisons blanches sur les rails électriques. Ce matin, j’ai quitté une ville, cet après-midi j’entre dans un espace-temps. Ciel chargé de chaleur beige, hauts blocs décrépis, végétation sèche et l’oxygène qui te manque, mon amour. Je discerne tes volets bleus, les persiennes de nos chambres partagées ici.

Et direct ça commence. Trois pas sur le quai, je sors par les grandes portes vitrées et direct, ça existe. Les mecs branchent, les gamines grattent, les chauffeurs hurlent, la chaleur bombarde, la lumière crie. Je descends les marches de la gare et le vent salé sauve.

Je connais cette ville. Par cœur je connais ta folie, ton éclat, ton regret. La tristesse chaque fois que je te quitte. À  chaque fois, ce creux dans le ventre, cet arrachement quand je parle de toi.

Je connais ton excès, il use. Tes scooters qui crament les feux rouges, tes sales gosses qui cabrent et narguent. Les nanas aux lèvres fuchsia qui téléphonent fort dans des shorts courts. Ta beauté et la chaleur. Partout, tout le temps, la chaleur. Comme un filtre, ta sueur présente de mai à octobre. Tu t’insinues dans mes nuits, m’attrapes au réveil et me tiens si je sors. Ta chaleur, pareil à notre début d’amour, torride et débile. J’ai envie de toi, je marche sur ton goudron et le vent salé sauve.

Je descends ton long boulevard grec, tes arbres me cachent des flammes, je traverse les rails du tramway, le soleil crame, je longe Lieutaud, tes immeubles protègent, je passe par l’ancienne rue de Margot et son mec. Elle est partie ailleurs, toujours le même tabac à l’angle. A l’ombre, je croise des mecs bronzés, des regards passent, des murs couverts de graffs et je rejoins Coco à la Préfecture.

En nage, elle fume une clope dans un débardeur vert fluo. Cassée par le soleil, ses gestes au ralenti, elle embrasse ma joue, un immense sourire nous fige. « Ma chérie, t’as pas changé ! » Mais moi je te vois, la ville est différente, la ville est comme toujours. Je vois tes habitants, tes quartiers. Je te regarde dans les yeux, reconnais tes avenues, reprends les raccourcis, mes habitudes, nos désirs. 

Je ne me perds pas dans le métro, les bus, je contemple l’horizon, la mer dans mon nez et avec Coco, on marche sur tes roches blanches. Les semelles on enlève les baskets, je déteste tes plages. La voûte plantaire se tend, les orteils se crispent, on avance. On ne va pas loin, jusqu’au bord de la pointe rocheuse, Coco a une crampe au mollet. Elle s’assoit et je descends le gros rocher qui nous sépare de l’eau. Je trempe le bout du pied, le sel mange ma peau, tu lèches mes orteils, je me jette.Ton crissement pénètre mes tympans, mon cerveau, ça m’avait tellement manqué, colonise-moi.

Je déteste ton absence et pourtant. Je ne peux plus vivre avec toi. Ton ciel bleu vif, ton bleu fou, je ne peux plus. Je déteste ta présence, ça m’obsède, me bouffes, je n’ai plus d’air. Et cet échec me frappe quand je te quitte. Tu me flingues et je tombe dans un trou noir.

L...