Des soleils de plomb aux brumes humides, l’auteur de L’Usure d’un monde nous embarque dans une géographie du sensible, où la chaleur devient un fil rouge pour penser les corps, les émotions et les fractures du réel. Entre l’Atacama et Lima, la déshydratation ou le brouillard, il raconte les épreuves physiques comme autant de révélateurs du monde: des solidarités imprévues, des clivages sociaux brûlants, des appels au départ comme autant de gestes de lucidité. Dans cet échange, il interroge ce que voyager fait à la pensée, ce que le climat fait à l’homme – et comment, parfois, l’écriture elle-même devient foyer.
Jasmin Mandola: Dans le désert d’Atacama vous écrivez : « Le soleil est l’inséparable amant du ciel… Par cette chaleur, nous n’allions pas tenir très longtemps ». Ce couple «soleil-ciel» fusionnel vous a-t-il souvent mis en danger ?
FH Désérable : En Amérique du Sud, pas tellement. En Iran – voyage qui a donné L’Usure d’un monde –, un type avec qui je traversais le désert de Lout m’a raconté qu’il s’était retrouvé quelques années plus tôt en plein désert, en panne, sans eau : l’occasion pour lui de revoir du tout au tout la définition qu’il se faisait du luxe. Il y a des gens pour qui déguster un champagne millésimé blanc de blanc dans une coupe en cristal sous la tonnelle du jardin à l’anglaise d’un palace est le paroxysme du luxe. Au milieu du désert, le luxe, c’est la gourde d’eau fraîche.
Jasmin Mandola: Votre quasi‑déshydratation dans l’Atacama devient un moment de fraternité inattendue avec des inconnus venus vous secourir. Que révèle la chaleur extrême de la nature humaine : égoïsme ou solidarité ?
FH Désérable : Je ne voudrais pas me faire passer pour un rescapé des rigueurs de l’Atacama : je n’y ai passé que quelques heures sans eau, avant qu’un automobiliste bienveillant nous apporte son concours. La chaleur extrême (comme le froid extrême) ne révèle ni l’égoïsme, ni la solidarité : elle les aiguise l’un et l’autre. Certains détournent les yeux, tracent leur route ; d’autres s’arrêtent et vous viennent en aide. Cela dit, depuis une dizaine d’années que j’arpente ce monde, j’y ai vu bien davantage de solidarité que d’égoïsme.
Jasmin Mandola: À Lima «pas de soleil, rien que la garúa, un smog au carré». Froid humide, brouillard… L’absence de chaleur peut‑elle être aussi oppressante qu’un soleil de plomb? Quels effets narratifs tirez‑vous de cette inversion ?
FH Désérable : Je ne veux pas verser dans la théorie des climats, façon Montesquieu. Je ne souscris pas à sa conclusi...