L’art peut-il ouvrir une porte de prison ? Dans leur court-métrage From Afar, Gilles Vandaele et Martijn De Meuleneire s’emparent du cinéma pour dénoncer les conditions de vie des détenus dans les centres de rétention administratifs belges. Entretien avec Gilles Vandaele à propos de la fonction politique de l’art, son efficacité et ses conséquences esthétiques, entre prolongement d’action militante et refus de propagande.

Victor Burgard : Dans votre court-métrage documentaire, vous cherchez à représenter, par des témoignages anonymes, la situation des étrangers enfermés dans les centres de rétention administrative (CRA), malgré l’interdiction d’y pénétrer et de filmer ce qu’il s’y passe. Comment ce projet est-il né?
Gilles Vandaele : D’une frustration militante ! Nous manifestions depuis longtemps avec des camarades face aux CRA, à la fois pour protester contre les conditions inhumaines de détention, mais aussi pour exprimer notre soutien aux personnes emprisonnées et leur rappeler que l’on pensait à eux depuis l’extérieur. Mais j’avais l’impression que nous rentrions dans une forme de routine, et je m’interrogeais de plus en plus quant à l’efficacité de nos actions. C’est très probablement pour cette raison que nous avons décidé, avec mon co-réalisateur Martijn De Meuleneire, de réaliser From Afar : à la fois pour changer de méthode et de point de vue, mais aussi pour essayer de donner une plus grande visibilité à notre mouvement.
V. B. : Il ne s’agit donc pas d’un court-métrage au sujet de votre action politique, mais bien d’une extension de celle-ci ?
G. V. : Oui, en tant que réalisateurs, nous nous identifions d’abord comme des militants. Mais filmer est aussi une façon de prendre du recul vis-à-vis de nos actions, et d’en faire quasiment une autocritique. Le court-métrage se compose principalement de plans larges, très éloignés des manifestations ; nous ne souhaitions pas que l’image en soit partie prenante. Plutôt qu’une esthétique « propagandiste », nous avons essayé d’approcher un point de vue réaliste vis-à-vis de notre propre lutte.
V. B. : Le documentaire était-il la seule option ? Vous n’avez jamais pensé à réaliser une fiction ?
G. V. : C’est une bonne question ! Il ne nous est jamais venu à l’idée, au moment de filmer, de faire une fiction, tant le documentaire semblait la forme la plus naturelle pour ce que nous souhaitions montrer. Cependant, il y aurait de la matière à créer, au sein d’un documentaire, au moins quelques parties fictionnalisées. Cela pourrait permettre de contourner la censure qui entoure les CRA, puisqu’il est toujours impossible d’en filmer l’intérieur.
V. B. :Est-ce que certaines personnes, parmi les anciens détenus des CRA et vos camarades de lutte, ont vu le film ? Et qu’en ont-ils pensé ?
G. V. : La première fois que nous avons montré From Afar à des militants, la plupart des réactions concernait l’absence de floutage des visages, ce qui nous a valu un accueil quelque peu réservé. Après avoir fait les modifications, les réactions étaient beaucoup plus enthousiastes. Concernant les anciens détenus des CRA, plusieurs d’entre-eux ont assisté à des projections, et en ont profité pour prendre la parole, la plupart du temps pour réagir aux extraits audios diffusés au cours du film, et pour témoigner de leurs propres expériences de détention. Elles étaient souvent plus dures que celles décrites dans le court-métrage. Ces moments d’échange étaient particulièrement précieux, et amplifiaient largement le propos du film auprès du public présent.
V. B. :Le fait d’accompagner la projection de From Afar