Depuis l’enfance, elle porte en elle une envie secrète : se raser la tête. Un jour, la narratrice franchit le pas. Ce geste intime et radical est le point de départ d’une métamorphose bouleversante. Sous les réactions intriguées des autres — compassion maladroite, remarques déplacées ou rires complices —, Valentine Deprez documente jour après jour les échos que provoque son crâne nu autour d’elle. 
Un récit hybride, radical et plein de justesse.

Ça faisait des années que j’y pensais, peut-être même toujours en fait. Enfant j’avais eu les cheveux courts. J’avais dit à ma mère, que je voulais la même coupe que mon frère. Elle m’a emmenée chez le coiffeur. Mes cheveux ont vite repoussé.

C’est revenu étant ado, j’avais  quinze ans, par là. Je me suis dit : « Et si je me coupais les cheveux, ça ferait quoi ? » juste une coupe courte « à la garçonne » j’avais pensé. À cet âge-là, pour moi, un monde où les femmes pouvaient avoir le crâne rasé n’existait pas encore. 

J’avais quinze ans, ou bien seize au maximum. J’ai fait taire cette idée. « R. n’aimerait pas. »: R., mon copain de l’époque. À ce moment de ma vie, je pensais être hétéro et n’être aimée qu’à condition d’être désirable. Triste période que mon adolescence. 

C’est revenu ensuite, souvent, dans mes pensées. Et même parfois la nuit. Mais j’avais peur je crois. Je pensais que sans cheveux, plus de désir. Je veux dire, plus de celui des hommes. Et je n’étais pas prête à y renoncer. Celui des femmes m’effrayait. Ce que ça disait de moi. Le désir que j’avais de mon côté pour elles. J’ai chassé cette idée quelques années encore de mon esprit.

À 18 ans, j’ai rompu avec R., j’ai quitté mon nord pour Paris, j’ai coupé mes cheveux. Assez courts oui, mais pas tondus. C’était un deal avec moi-même, une manière de moyenner. Suffisamment courts pour ne pas me mentir, suffisamment longs pour passer inaperçue. J’avais bien appris ma leçon ; rien ne doit être trop court chez une femme. Ni sa jupe, ni ses cheveux. Je suis allée chez le coiffeur, une fois, deux fois, et puis tous les trois mois. À chaque fois le même refrain. Bac à shampooing, « Comme d’habitude? », « Je vous fais les pattes en pointes », 51€ -> 20 de plus que mon voisin. 

Photo retrouvée sur mon compte Facebook. Prise dans la salle de bain familiale puis postée le 15 avril 2013 (à 14 ans). J’y exhibe mes cheveux fraîchement bouclés. En deou, une photo prise quelques semaines après mon arrivée à Paris. Avec ma nouvelle coupe.

26 octobre 2023: 

J’en ai eu marre. 
B. m’a appelée :  « Je peux passer faire une lessive à l’appart ? »
J’ai répondu : « ça marche. Et tu me rases la tête ? ». 
Elle a juste ri pour me répondre. Elle devait s’en douter, que ça allait arriver, qu’un jour je lui dirais « c’est aujourd’hui ». Au fond, elle n’avait pas l’air si étonnée. 
On a fait ça chez moi du coup. À même le sol de mon studio. L’après-midi je suis allée acheter une tondeuse. Je ne savais pas trop laquelle choisir, il y avait plein de modèles. J’ai regardé un peu, les tailles, les prix, ça a duré un moment. Finalement, j’en ai pris une pour homme, qui fait la barbe, mais les cheveux aussi. 

J’avais hâte et B. aussi – ça l’amuse je crois, ce genre d’expériences. On avait hâte mais on a quand même décidé de manger un peu avant. On s’est dit qu’après il y aurait des cheveux partout, ça serait moins confortable. 
On a dû prendre une part de tarte, ou quelque chose comme ça. Un repas que B. avait ramené, c’est toujours elle qui cuisine pour nous deux. 
Et puis on s’y est mises. Elle a eu un peu de mal au début, les cheveux se coinçaient dans le sabot, ou au contraire ne passaient pas. Ça me faisait pas mal, juste ça servait à rien. Alors elle y est allée au ciseaux. Des ciseaux de cuisine, on avait que ceux-là. C’est pas qu’il y avait tant de cheveux à couper, mais ça fonctionnait mieux comme ça. Elle a seulement fini à la tondeuse et puis elle a passé sa main sur mon crâne. Ça l’a fait rire encore. Elle dit quelques chose comme « on dirait les pantalons de sport qu’on avait quand on était enfant » et elle a ri. Ça m’a fait rire aussi. 

Le 27 octobre 2023 :

Je suis sortie pour la première fois dehors, comme ça. Sans cheveux, ou presque. Je suis sortie juste pour me balader et voir ce que ça me ferait. Je voulais voir si c’était vrai qu’on pouvait sentir le vent sur son crâne. C’est vrai. Le froid aussi on le ressent. J’ai eu froid, alors j’ai rajouté sur ma liste de courses un bonnet qui couvre les oreilles. Finalement je n’en ai pas trouvé. Ils me faisaient une tête bizarre. J’ai pensé tant pis, j’aurai froid aux oreilles. 

J’ai marché longtemps dans mon quartier. Paris, XIXe arrondissement. D’abord j’ai marché juste pour moi. Pour sentir. Il me restait encore quelques cheveux sur la nuque et les épaules, ceux que je n’avais pas réussi à faire partir sous la douche. Ça m’a démangé sous mon pull, mais je n’ai pas gratté. J’aurais perdu mon allure ; pantalon de treillis, les mains dans les poches et le pas réguli...