Depuis plusieurs mois, l’extrême-droite américaine revendique son droit à utiliser la liberté d’expression pour contrer une certaine pensée « woke » ou « bien-pensante ». En parallèle, plusieurs organisations de défense des libertés ont constaté une forte augmentation, depuis 2021, des tentatives de censurer des livres. Le mouvement s’intensifie d’année en année et vise, sans surprise, les minorités.
Censurer la littérature n’est pas un phénomène nouveau. Cela a toujours existé d’une manière ou d’une autre et à des degrés plus ou moins forts, avec un but clair : limiter le savoir. D’après le site de la bibliothèque d’Harvard, la première interdiction de livre aux États-Unis remonte à 1637, dans le Massachusetts, avant même, donc, la création du pays. Le gouvernement puritain de l’époque décida de censurer un ouvrage de Thomas Morton, intitulé New English Canaan, considéré comme une critique sévère et hérétique des coutumes et des structures de pouvoir puritaines. Dans les écoles, la censure aurait commencé après la guerre de Sécession (1861-1865) pour éviter que les manuels scolaires dépeignent mal les intentions et les actions des États du sud (esclavagistes) au cours de ce conflit.
Ces dernières années, le mouvement s’intensifie et s’organise pour attaquer de manière sans précédent les établissements scolaires et la littérature. Ainsi, depuis 2021, l’American Library Association, une organisation à but non lucratif dont le but est de soutenir les bibliothèques, a constaté une forte augmentation des tentatives de censure dans les bibliothèques. PEN America, une autre organisation à but non lucratif dont l’objectif est de sensibiliser à la protection de la libre expression aux États-Unis et dans le monde, définit la censure d’un livre (ou book ban) ainsi :
« Toute mesure prise à l’encontre d’un livre en raison de son contenu et à la suite de contestations de la part de parents ou de la communauté, de décisions administratives ou en réponse à une action directe ou à une menace d’action de la part de législateurs ou d’autres responsables gouvernementaux, qui conduit à ce qu’un livre auparavant accessible soit, soit complètement retiré de la circulation auprès des élèves, soit soumis à des restrictions ou à une limitation d’accès. La limitation d’accès est une forme de censure qui a des implications éducatives allant au-delà du simple retrait d’un titre. »
Ce nouveau mouvement d’ampleur aurait commencé en 2019. D’après Jonathan Friedman, directeur général des programmes américains pour la liberté d’expression chez PEN America, cité par le Guardian, il trouve son origine dans la réaction négative suscitée par le projet 1619, une série journalistique publiée par Nikole Hannah-Jones dans le New York Times, en 2019. L’idée était de revisiter l’histoire des États-Unis en insistant sur le rôle des Afro-Américains dans la construction du pays. Mais Donald Trump, alors président des États-Unis pour la première fois, avait considéré ce travail comme de la « propagande toxique ». Les Républicains lui ont emboîté le pas et promis d’interdire cet ouvrage dans les écoles. Ils ont depuis élargi cette démarche à tous les livres qui, selon eux, « endoctrinent » les élèves avec des valeurs progressistes.
Résultat, en 2024, l’ALA a enregistré le troisième plus grand nombre de contestations de livres depuis qu’elle a commencé à rassembler des données en 1990. L’ALA a documenté 821 tentatives de censure de livres et d’autres documents de bibliothèque en 2024 dans tous les types de bibliothèques, soit une diminution par rapport à 2023, où un nombre record de 1 247 tentatives avait été signalé. Cependant, l’ALA a enregistré des tentatives de retrait de 2 452 titres uniques en 2024, ce qui dépasse largement la moyenne de 273 titres uniques contestés chaque année entre 2001 et 2020. De son côté, PEN America a recensé près de 10 000 cas d’interdiction de livres entre juillet 2021 et la fin de l’année scolaire 2023. Toujours d’après PEN America, « près de 60 % de ces titres sont destinés à un public jeune adulte et traitent de sujets auxquels l...