Il existe des êtres dont les mouvements du corps, comme de l’esprit, vous séduisent immédiatement. Des personnes chez qui tout semble fonctionner en symbiose, bien qu’ils demeurent en décalage avec le monde extérieur. Simon Johannin appartient à ces êtres qui fascinent. Portrait par Lolita Sene.

Écrivain fidèle aux éditions Allia depuis son premier ouvrage, L’été des Charognes, paru en 2017, il a publié huit livres, dont des romans et des recueils de poésie. Natif des Montagnes Noires qu’il a fuies à l’âge de 17 ans, il a vécu un temps à Bruxelles, puis à Paris, pour échouer enfin, à Marseille, par hasard « J’étais dans cette ville sans raison » écrit-il dans Ici commence un amour (Allia, 2024).

Il existe des villes foudroyantes aux rues vibrantes, aux quartiers sincères, aux rades sans fard peuplés de vieux qui jouent attablés sur les trottoirs des parties de cartes, de pêcheurs basanés qui n’ont plus que leurs barques pour vivre la fin de leurs jours, d’une jeunesse sans compromis et révoltée, qui s’interroge et qui crée. Marseille relève de ces lieux qui fascinent, et Simon Johannin l’habite. Car c’est avec une liberté folle qu’il interroge son art, raconte nos jours, dépeint les marginaux ou les laissés-pour-compte. Quand la littérature devient absolue, alors l’auteur s’en dérobe et explore d’autres médiums tels que la poésie, la performance, la mode, la photographie. Lui qui semble ne jamais hésiter et traverser ce monde qui s’écroule avec hauteur, et dont tout ce qu’il touche prend une tournure étrangement envoûtante, presque emprunt de mystique, n’aura jamais fini de surprendre. « Marseille, des montagnes de merde de toutes les couleurs que le mistral balaie vers les confins du monde » Ici commence un amour (2024). S’il ne rend pas forcément hommage à Marseille dans tous ses ouvrages, Simon Johannin tient à donner à la ville sa place particulière, comme un fond sonore ou la sous-couche d’une peinture.

Dans Le Dialogue (Allia, 2023), un texte écrit durant sa résidence au Monte-Vidéo, lieu de création artistique à Marseille, le lecteur est placé entre deux corps imbriqués, emprunts d’amour, éreintés, tandis qu’un dialogue s’impose. On est embarqué dans ce huis clos qu’on imagine dans une piaule à Malmousque, entre quatre murs des Aygalades, dans la chambre d’un hôtel de l’Estaque, ou sur la couche d’un squat du Panier. Ce texte, étonnant et sensuel, aux mots qui tachent et aux phrases qui griffent, laisse également entendre le bruit de la cité phocéenne, les cris des assoiffés, le silence de leur nuit, on sent le gasoil d’un scooter débridé, le vide de la solitude entre ces deux êtres qui écopent au milieu du vacarme.

Dans Ici commence un amour (Allia, 2024), la cité demeure derrière une prose qui s’invente, capricieuse et électrique, peuplée de noctambules, de zonards, d’une jeunesse désabusée. D’une plume splendide et intense à en faire vriller les yeux et bouillir la cervelle, on découvre Théo, un jeune mec qui achoppe, galère dans sa rencontre au monde, suivant ses pérégrinations nocturnes. « Au bout, la ruelle s’agenouille dans le port pour lui lécher la nuque » Ici commence un amour (2024). 

La ville est quadrillée, montée et descendue mille fois, comme pour mieux la comprendre, l’entendre, et s’y fondre. Le lecteur suit le narrateur, de rues connues en quartiers secrets, tout y est dépeint dans une noirceur sauvage.  

« En bas, la Canebière, cours de peu de miracles, s’ouvrant sur les quelques poissons magnifiques qu’il reste à vendre avant que les poissonnières ne s’en aillent. » Ici commence un amour (2024).

Pour son nouveau roman, Le Fin chemin des anges, à paraître le 20 août prochain aux éditions Denoël, l’histoire se situe sur l’île du Levant qui s’érige à l’est des criques marseillaises, et raconte un centre pénitentiaire pour mineurs qui a autrefois existé, offrant au lecteur un spectacle de soumission et de douleur. On ressent les embruns salins, les bourrasques qui décoiffent, la sueur de ceux qui besognent sous le cagnard. 

« D’abord il y avait le vent. Et puis le fin chemin qui montait escarpé dans les bruyères et vous menait en haut, vous rapprochant du ciel et du plateau de l’île dont on fit votre enfer. » Le Fin chemin des anges (2025)

Mais surtout, on comprend que l’auteur rend hommage à ces enfants oubliés, et aussi à ceux de nos jours qui souffrent encore dans le monde. On navigue des rives du nihilisme à celles de l’espoir, transporté par un lyrisme appuyé, rythmé, un verbatim jamais versatile et qui en découd, transmettant à la fois l’émotion et le message. « Les morts ne traversent pas l’eau. Les morts ne se souviennent pas de l’eau car l’eau est la mémoire des morts et du monde. » Le Fin chemin des anges (2025)

Quand on embrasse Marseille, ses quartiers éclectiques et ses rochers indomptés, on s’attache à son authenticité, sa fougue. Cette ville bouscule et fait grandir, elle ne s’attarde pas sur ceux qui la méprisent ou la snobent. Elle garde ses portes ouvertes sur la beauté, l’échange et l’avenir. Alors quand deux entités comme Simon et Marseille se rencontrent, ici commence un amour.

Photo : Sarah Makharine.