Leonardo di Caprio

Cela fait plusieurs semaines que la mâchoire volontaire, les cheveux gominés de spleen, et la flanelle désenchantée du trois-pièces de Di Caprio investissent jusqu’à nos stations de métro. C’est qu’il se trame quelque chose : on me dit que l’adaptation cinématographique du roman de Fitzgerald, Gatsby le magnifique, vient de paraître sur nos écrans.

« Le mal du siècle a envahi les âmes. »

En salle le 15 mai 2013

Pour ceux qui l’ignoreraient encore : nous sommes au lendemain de la grande guerre, lors d’un certain été 1922, et, comme le certifie si délicatement la quatrième de couverture de mon livre de poche fatigué, « Le mal du siècle a envahi les âmes. »

C’est en effet au travers du regard mi-fasciné mi-révolté du presque trentenaire, agent de change, et bientôt écrivain Nick Carraway, par hasard venu s’installer en l’opulente et new-yorkaise banlieue de Long Island, que nous suivons les atermoiements de l’indéchiffrable Gatsby qui, derrière les lambris et les fastes des somptueuses réceptions qu’il donne chaque semaine en sa demeure pareille à un hôtel de ville normand, nerêve que d’une chose, (re)conquérir l’adorable et cocue Daisy, tragiquement mariée à l’héritier millionnaire Tom Buchanan.

Publié en 1925, le roman de Fitzgerald fit un flop à sa sortie, tomba dans l’oubli pendant les années 30 et la seconde guerre mondiale, avant que d’être redécouvert au tournant des années 50, et de devenir l’un des romans emblématiques des années folles, peut-être de la littérature américaine du XXème siècle.

Autant dire qu’en faire une adaptation cinématographique n’est guère chose aisée ; Car nul besoin d’être universitaire pour sentir comment, grâce à la pureté de la langue fitzgeraldienne, derrière le chatoyant portrait d’une génération prise dans les remous fiévreux des années folles, par l’interstice de quelques échanges trop frivoles pour qu’on y croit vraiment, au travers enfin des teintes rosées d’un crépuscule qui se meurt doucement sur les fausses colonnades grecques d’une luxueuse demeure de West Egg, affleure comme le vertige incandescent de toute une époque.

Publié en 1925, le roman  fit un flop à sa sortie avant d’être redécouvert au tournant des années 50

C’est donc avec une pointe de scepticisme angoissé que je me suis rendu au MK2 Montparnasse : comment donc Baz Luhrmann s’est-il décidé, m’inquiétais-je notamment, à retranscrire visuellement cette toute délicieuse frivolité désemparée des personnages féminins du roman, aux premiers rangs desquels figure Daisy, dont il est dit que ses murmures s’étiolent au travers des nuages de l’aube, et sous les étoffes de satin mauve, comme un « chant d’immortalité » ?

A dire vrai, au sortir de la projection, je me suis également demandé si le réalisateur s’était simplement posé la question.

« C’est comme si Luc Besson adaptait Proust»

Soyons honnêtes : Di Caprio est loin d’être mauvais ; certaines scènes sont cinématographiquement très réussies, notamment les courses en voiture, et, quoique par trop kitsch (La scène de la découverte par Nick de Gatsby, et de son fameux sourire frise le ridicule), le film se laisse bien regarder.

Quoique par trop kitsch, le film se laisse dans l’ensemble plutôt bien bien regarder

Simplement, dans l’obèse débauche d’effets visuels qui tendent à faire ressembler le film à un honorable clip de Jay-Z ou peut-être plus précisément à la publicité pour le parfum One Billion de Paco Rabanne, il semble que le réalisateur ne fasse que nous éloigner plus encore des sillons tracés par le génie de Fitzgerald, dont son Gatsby est la peinture la plus fragile et raffinée qui soit, dans sa thématique comme dans son traitement, du délitement de toutes les valeurs, de l’effondrement de toutes les illusions.

Mélodrame parfois poussif et sirupeux (dont l’esthétique visuelle empesée fait penser au dernier Wong Kar-Wai, The grandmaster), Luhrmann, plutôt que de réinventer cinématographiquement le mal du siècle, ou peut-être de lui faire prolongement jusqu’à nous (Et dieu sait qu’il y aurait de choses à dire), ne trouve pas les moyens artistiques de faire autre chose que nous divertir (ce qui est déjà appréciable), lors même que chez le romancier, l’apparent divertissement dans lequel semblent comme dériver les personnages, n’a d’intérêt qu’à mettre en exergue tout le désappointement qui y git.

En d’autres termes, et pour rendre hommages à nos confrères du Monde qui ont si justement trouvé l’expression, Gatsby « c’est comme si, sans jugements de valeurs, Luc Besson adaptait Proust».

  • Gatsby, de Baz Luhrmann, avec Leonardo DiCaprio, Tobey Maguire, Carey Mulligan. En salle depuis le 15 mai 2013. 

Sébastien Reynaud