Yannick Haenel (crédit photo : Jean-Baptiste Millot - Gallimard)
Yannick Haenel (crédit photo : Jean-Baptiste Millot – Gallimard)

Les Renards Pâles le dernier roman de Yannick Haenel, vient d’être publié chez Gallimard : Zone Critique revient en détail sur l’une des têtes d’affiches de cette rentrée littéraire. Un joli bordel.  

Septembre 2013
Septembre 2013

Une âme contemplative est à charge à tous les désoeuvrés remuants qui couvrent la terre : l’imagination et le recueillement sont deux maladies dont personne n’a pitié” Alfred de Vigny

L’histoire des renards pâles se présente ainsi : Un homme, le personnage principal, décide de vivre dans sa voiture. Au fur et à mesure de ses errances dans le XX ème arrondissement, il découvre d’étranges inscriptions sur les murs de Paris, desquelles il pressent l’arrivée d’une révolution. Autant dire tout un programme.

Ce livre est énormément de choses : il est tour à tour puissant puis faible; porteur d’un message et vide de sens; l’éloge de la solitude, de l’errance et l’instant d’après la description de l’action collective portant une révolution; Il dépeint une société française bloquée et enfin la plongée dans la culture des dogons du Mali; En bref, ce livre est tout et rien, un foisonnement d’idées ou un taudis, c’est selon. Au final, c’est un ouvrage inégal et après réflexion, je pencherais pour la seconde option c’est à dire un beau bordel. Beau, parce que c’est bien écrit et il y a des lignes empreintes de poésie; bordel, car ça part dans tous les sens. Mais on y reviendra.

Un voyage vers l’abandon

Le roman est divisé en deux parties. La première contient une analyse sur la solitude du chômeur, le désoeuvrement de l’individu livré à lui-même et finalement sur le déclassement social, le personnage principal finissant par élire domicile dans un break prêté par un ami en voyage “prolongé” en Afrique. Cette partie me semble être la plus intéressante du livre, car elle nous raconte les errances du personnage principal dans le XX ème arrondissement et la manière dont celui-ci occupe ses journées et ses nuits. Il divague, boit du café, de la vodka, fume des clopes, lit en attendant Godot de Samuel Beckett (vous apprécierez le trait d’esprit) et retrouve ses amis artistes pour parler de Houellebecq, du fascisme latent de l’appareil administratif français et, finalement, boire.

Ce livre m’est apparu, au première abord, comme un écho de le thématique développée par Don De Lillo dans Cosmopolis

Si cette partie m’apparaît comme la plus intéressante c’est qu’elle me semble décrire avec assez de justesse ce sentiment de détachement dont l’on peut être emprunt par rapport aux autres mais aussi, et en l’espèce c’est essentiellement cela, envers soi-même. Cet état dans lequel on a l’impression d’être détaché de tout et de flotter dans un monde au sein duquel on ne se retrouve pas, et dont les normes et valeurs qui le constitue, nous apparaissent comme trop étrangères à notre condition. A ce titre, ce livre m’est apparu, au première abord, comme un écho de le thématique développée par Don De Lillo dans Cosmopolis. Il y a également ce caractère hypnotique, flou et fou  présent dans Cosmopolis où l’on se perd dans les mots et on finit par faire attention aux mots. Cela nous pousse à être à l’affut de tout à l’instar du personnage principal qui découvre à travers cet état d’abandon, dû au déclassement social, un état qu’il qualifie ainsi :

Le désoeuvrement vous fait entrevoir que rien n’est utile, et que sans doute l’utilité n’existe pas. Je ne suis plus que promenade” (p.32)

Oui, mais voilà, comme je l’ai dis c’est au premier abord. Là où l’écriture de Don De Lillo nous donne le temps de prendre conscience d’une phrase, où l’on devine qu’elle va plus loin que les seuls mots qui la constitue, et que même ces mots sous-entendent eux-mêmes quelque chose de plus profond et de plus complexe, chez Yannick Haenel, on se perd. On se noie dans un bordel de mots et d’images qui flâne entre le registre de la poésie, celui de l’incantation et celui du bazar. Exemples à l’appui :

«Mon sang est froid, mais il arrive que cette froideur se change en cendres, comme si je m’éteignais; alors la torpeur me gagne : étrangement, elle brûle» (p. 76).

Ou encore :

«La nudité des arbres creuse un trou dans l’univers où les humains croient exister; elle déjoue leur connerie» (p. 60).

J’ai toujours apprécié la poésie et les métaphores mais là, je dois avouer que l’on en prend plein la gueule et que l’on a du mal à comprendre le sens des propos tenus. Certains malins se diront que c’est le but recherché, que cela retranscrit l’abandon métaphysique dans lequel se trouve le personnage qui devient ainsi étranger à tout, y compris à son propre corps. En ce cas je répondrais humblement que je suis étranger à cette prose grandiloquente, car là ou elle devrait porter le lecteur vers un état proche du désœuvrement (tant recherché par l’auteur), elle ne finit qu’à nous égarer voire, à nous assommer.

Il n’en demeure pas moins qu’il y a des passages vraiment poignants et drôles, notamment ceux avec son copain underground, artiste, alcoolique et accro à la cocaïne Ferrandi, qui prend des photographies des caméras de surveillance pour dénoncer leur présence. Complètement saoul, lors d’une discussion avec le dit Ferrandi, l’auteur compare l’oeil des caméras de surveillance à un anus, ce qui donne :

Tu te rends compte de cette découverte: l’oeil du contrôle est un anus! En nous surveillant, ils nous violent : la vérité de la surveillance est anale“(p.76).

De la volonté au bordel

J’ai davantage de difficultés avec la seconde partie qui se consacre à la description de la montée en puissance d’une révolution portée par la communauté des “sans” et plus spécifiquement par des émigrés maliens de l’ethnie des Dogons du Mali. Ici, ce n’est plus seulement les mots qui submergent le lecteur mais également les thèmes : Le combat des sans papiers, la vie des exclus, l’exploitation des noirs par les blancs, les voitures brûlées. Autant dire que si l’on est pas d’un tempérament naturellement chaotique, on est foutu. Ainsi, une multitude de thèmes se rencontrent et se mélangent dans une logique connue sans doute de Haenel seul. Ceci, ajouté à une frénésie de mots et de métaphores de plus en plus incontrôlée a pour seul mérite de donner le vertige.

Autant dire que si l’on est pas d’un tempérament naturellement chaotique, on est foutu

Cependant dans cette seconde partie tout n’est pas mauvais non plus, et bien que ces critiques politiques peuvent être considérées comme banales, elles n’en demeurent pas moins justes:

«Une guerre civile divise la France, comme tous les pays qui suspendent le droit de certaines personnes en criminalisant leur simple existence. Elle oppose les étrangers «indésirables», comme vous dites, et les forces de police. Le plus souvent, elle est dissimulée pour des raisons politiques : ainsi reste-t-elle en partie secrète; mais il arrive, pour les mêmes raisons, qu’on l’exhibe : elle dégénère en spectacle, et les médias, en présentant les sans-papiers comme des délinquants qui enfreignent une loi, maquillent alors cette guerre en lutte contre l’insécurité» (p. 146).

Ou encore :

«Le renoncement s’était emparé de cette ville, où chacun, peu à peu, s’était replié sur ses compromis, en simulant des désirs qui n’étaient déjà plus que le réflexe de consommateurs tristes» (p. 26).

De même le thème de l’identité perdue puis retrouvée au sein d’une communauté qui la nie, puisque chacun de ses membres détruit ses papiers d’identité au profit d’un masque et d’un blason, portant davantage l’intérêt sur la présence de l’homme que son identité, est intéressante. Mais là encore, cette idée vient se mélanger à une contestation de l’autorité policière perçue comme une autorité fasciste, ce qui dénature l’idée initiale.

Le problème vient simplement du mélange des genres qui dessert grandement le propos de l’auteur. Le culte du Renard Pâle bien qu’il ait le mérite de nous intéresser à la culture des Dogons du Mali, est un exemple parmi d’autres des échappées rendant le livre de plus en plus confus. Mais, si cela se limitait seulement aux thèmes peut-être pourrions nous être saufs, mais ce n’est pas le cas. Ainsi, voici comment Haenel définit ce qu’il nomme “l’intervalle” et qui est censé être le déclencheur de sa quête spirituelle:

Personne ne sait ce qui arrive dans le vide. Personnellement, j’appelle ça l’«intervalle». Pas facile à décrire : une bouffée de joie, et en même temps une déchirure. Pas facile à supporter, non plus : une sorte d’immense souffle. Est-ce que ça étouffe, est-ce que ça délivre ? Les deux : c’est comme si vous tombiez dans un trou, et que ce trou vous portait“(p. 18).

Je dois avouer qu’au début j’ai été plutôt enclin à me laisser bercer par les métaphores de Haenel, la difficulté étant qu’il y en a trop et qu’à un moment on n’en peut tout simplement plus. Trop de verbiage, trop de mots, trop de tout, on finit par en avoir la nausée. Au final on se dit que le livre aurait gagné à être davantage structuré, mais ce n’est pas le cas et une fois cet ouvrage fini, on a l’impression d’être en gueule de bois. Seulement on a pas l’ivresse qui la précède. L’arnaque.

  •  Yannick Haenel, Les Renards Pâles, Gallimard, septembre 2013, 16,90 euros.