Marion Peck, Sleepwalk, 2009
Marion Peck, Sleepwalk, 2009

La Halle Saint-Pierre donne une nouvelle fois carte blanche à Anne et Julien, les fondateurs excentriques de la revue Pop Art Hey ! La troisième édition de ce partenariat offre un aperçu haut en couleurs des différentes expressions artistiques de la contre-culture. La diversité des œuvres représentées permet de mesurer l’importance de la culture populaire aujourd’hui. 

« Le plus urgent ne me paraît pas tant de défendre une culture dont l’existence n’a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir faim, que d’extraire de ce que l’on appelle la culture, des idées dont la force vivante est identique à celle de la faim. »  Antonin Artaud, Le théâtre et son double.

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La singularité de la Halle-Saint-Pierre est en parfaite adéquation avec le contenu de l’exposition. Ce lieu unique abritant une riche collection d’art outsider est l’un des principaux centres de la culture de rue. Cet espace d’exposition permet de mettre en lumière des artistes méconnus, trop souvent en marge des institutions artistiques. La revue Hey ! participe également à la diffusion d’une culture protéiforme qui se reconnaît dans un refus de l’académisme. L’exposition « Hey ! Modern art and pop culture / Act III » offre un spectacle chatoyant, baroque et vivant. Elle fait entrer le visiteur dans un monde où la culture n’est pas seulement une forme d’esprit mais une forme de vie.

Un cabinet de curiosité

La culture n’est pas seulement une forme d’esprit mais une forme de vie

A rebours d’une présentation muséographique traditionnelle, qui pourrait pêcher par documentarisme et rigorisme, les œuvres sont disposées sans souci d’organisation chronologique ou géographique. L’unité de cette exposition réside dans sa diversité : des sculptures japonaises avant-gardistes côtoient des dessins surréalistes, l’art des tranchées dialoguent avec des vanités contemporaines. Les travaux des artistes sont mis en valeur à travers un habile jeu d’ombre et de lumière. L’atmosphère qui se dégage de la première salle de l’exposition n’est pas sans rappeler celle d’un cabinet de curiosité. Pourtant, une esthétique particulière se dégage de l’ensemble. Au-delà de la distance géographique des œuvres, des différents matériaux exploités, et des approches conceptuelles divergentes,  un même esprit de renouveau anime cet espace de création.

L’étrange et le merveilleux

Chaque artiste interroge à sa façon notre rapport au monde et à l’imaginaire. Les toiles de Marion Peck dégagent une impression d’inquiétante étrangeté à laquelle il est difficile d’échapper. Sleepwalk est une incitation à la rêverie. Les couleurs pastels du tableau et l’aspect étrangement humanoïde des animaux en laisse participe à créer une atmosphère à la fois onirique et nostalgique. Il semble que chacune de ses œuvres reprennent des thèmes liés à l’enfance et à l’innocence. La peinture apparaît comme un lieu pouvant convoquer un paradis perdu dans lequel le spectateur peut s’égarer le temps d’un regard.

Francis Marshall, Collège du Rosaire, 2012
Francis Marshall, Collège du Rosaire, 2012

Dans la même optique, les peintures sur bois de Francis Marshall semblent jouer à cache-cache avec notre imagination.  Il émane de ces tableaux une angoisse insaisissable. Est-ce dû à la représentation, volontairement inquiétante, d’un pensionnat catholique des années 50 ? Est-ce en raison du personnage blafard qui hante chacune de ses toiles ? Ou peut-être est-ce la beauté irréelle du personnage féminin ? Plus que jamais, l’œuvre semble nous raconter une histoire fragile, faite de déchirures et de questionnements.

Une esthétique de la métamorphose

Cette exposition questionne également la relation que nous entretenons avec notre corps. Par exemple, les poupées de Ludovic Levasseur repoussent et fascinent en raison de leur caractère morbide. Ces assemblages contre-nature de ce qui ressemblent à des morceaux de cadavres évoquent à la fois des pratiques médicales et mortuaires. L’artiste s’incarne en thanatopracteur dément et joue avec notre vision aseptisée de la mort. Le pourrissement des chairs et les expérimentations post-mortem  servent de miroir à nos angoisses.

Ludovic Levasseur, Poupée, 2007
Ludovic Levasseur, Poupée, 2007

De même, les corps métamorphosés de Gabrielle Brun et les vanités sculptées dans des coquillages de Grégory Halili prolongent cette réflexion. Pour autant, si le premier contact avec certaines œuvres peut sembler brutal, il ne faut pas pour autant y voir une volonté délibérée de choquer. Ainsi, les tableaux de Camille Rose Marcia sont des toiles vives aux couleurs criardes reprenant des archétypes de la pop culture et de la mythologie grecque.

La pop culture est une réplique face aux mirages de l’art contemporain

Enfin, le travail de Ron English donne à voir le clivage entre l’American Dream et les désastres du capitalisme. Sa technique picturale lui permet de faire coïncider des motifs dramatiques dans un cadre idyllique. Il utilise les symboles de la domination américaine au service d’une dénonciation de la mondialisation. Cette métamorphose est celle d’un monde aux frontières bouleversées mais où l’art occupe plus que jamais une place prépondérante.

« Hey ! modern art and pop culture / Act III » dessine un nouveau paysage artistique. La pop culture est une réplique face aux mirages de l’art contemporain. De l’art brut au street art, il y aura forcément un tableau pour vous interloquer, un dessin qui vous arrachera un sourire ou une sculpture qui attisera votre curiosité.  Ici, l’émotion devance la réflexion.

  • Hey ! modern art and pop culture / Act III. Halle Saint-Pierre. Du 18 septembre 2015 au 13 mars 2016