Image tirée du film "Welcome to the Anthropocene"
Image tirée du film Welcome to the Anthropocene

Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve.
F. Hölderlin

Le confinement planétaire imposé en raison de la pandémie de Covid-19 s’apparente à la fois à une mise en suspens et à une accélération : immobilisations et ralentissements coïncident avec le développement sans précédent des connexions et télécommunications. Comment penser ces nouveaux espaces-temps ? A-t-on affaire à une crise éphémère ou à une mutation irréversible ? A quelles conditions un choc peut-il devenir événement ? A quelles conditions peut-il produire une bifurcation, ouvrir la possibilité d’un avenir ou de nouveaux horizons ?

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« Quand apparaît le danger de la contagion, on essaie d’abord de ne pas le voir. Les chroniques relatives aux pestes font ressortir la fréquente négligence des autorités à prendre les mesures qu’imposait l’imminence du péril (…) Certes, on trouve à une telle attitude des justifications raisonnables : on voulait ne pas affoler la population (…) et surtout ne pas interrompre les relations économiques avec l’extérieur. Car la quarantaine pour une ville signifiait difficultés de ravitaillement, effondrement des affaires, chômage, désordres probables dans la rue, etc. Tant que l’épidémie ne causait encore qu’un nombre limité de décès on pouvait encore espérer qu’elle régresserait d’elle-même avant d’avoir ravagé toute la cité. Mais, plus profondes que ces raisons avouées ou avouables, existaient certainement des motivations moins conscientes : la peur légitime de la peste conduisait à retarder le plus longtemps possible le moment où on la regarderait en face.[i] »

 Dans L’Homme Moïse et la religion monothéiste, Sigmund Freud présente sous un nouveau jour sa théorie de la « période de latence»[ii]  : il désigne ainsi le temps qui s’écoule entre le moment où un individu apprend « quelque chose de nouveau, qu’il doit reconnaître comme vrai sur la base de certaines preuves, mais qui contredit nombre de ses désirs et malmène quelques unes des convictions qui lui sont chères », et le moment où l’individu accepte la nouvelle, ayant épuisé toute l’énergie qui lui permettait de l’ignorer. Entre ces deux moments, l’individu cherche, au prix de « puissants investissements affectifs », des « raisons au nom desquelles il peut mettre en doute le nouveau ». Il maintient des objections fictives qui lui permettent de ne pas reconnaître des faits pourtant avérés, de les refouler. Mais le plus souvent, le réel revient même là où l’on voudrait l’ignorer : c’est le « retour du refoulé ». Des symptômes s’imposent alors au psychisme de l’individu, « par dessus la pensée logique », et de manière parfois totalement inadaptée à ce que le « monde réel » aurait exigé.

Cette théorie de la période de latence (et plus largement, du refoulement) ne s’applique pas seulement à la psychologie individuelle : dans son dernier ouvrage, Freud tente de l’étendre à la psychologie collective. Mais au-delà même du champ de la psychologie, la notion de « période de latence » fait sens aussi en biologie. Freud compare en effet cette période (qui précède les symptômes du choc dans l’appareil psychique) à la période d’incubation (qui précède les symptômes du virus dans l’organisme biologique) : « on nomme le temps qui s’est écoulé entre l’accident et la première manifestation des symptômes la ‘période d’incubation’, terme qui constitue une allusion transparente à la pathologie des maladies infectieuses »[iii].

Lorsque c’est la nouvelle de la propagation planétaire d’un virus qu’il s’agit de refouler (pour protéger toutes formes de « désirs » et de « convictions » – y compris des intérêts financiers), écologie, biologie, psychologie individuelle, psychologie collective, économie et politique semblent étroitement s’articuler.

Face à la « stratégie du choc », réconcilier recherche et société ?

Mais les choses se compliquent encore quand l’événement réprimé est lui-même le symptôme à travers lequel font retour un certain nombre de « refoulements » précédents : refoulement de la nécessité des investissements dans l’hôpital public et dans le système public de santé[iv], refoulement de la nécessité vitale des salariés les moins bien rémunérés et les plus précarisés[v], refoulement de la nécessité de recherches fondamentales poursuivies sur le long terme et orientées selon des nécessités scientifiques[vi], refoulement des divers désastres dus à la crise écologique et climatique[vii], etc. On pourrait ajouter à cette liste le refoulement de la fragilité de la vie humaine qui semble se manifester à travers les discours transhumanistes actuels[viii] : l’humanité à laquelle on promettait l’immortalité se voit aujourd’hui privée de la possibilité d’enterrer ses morts, et avant de télécharger les esprits, il faudra sans doute vacciner quelques corps.

Il ne faudrait donc pas s’étonner du fait que ces retours de refoulés  (que le juriste Alain Supiot décrit comme des « chocs de réalité[ix] ») imposent au niveau collectif des « doubles contraintes » échappant à toute pensée logique, qui prennent souvent la forme d’ « injonctions contradictoires» impossibles à réaliser[x] . Pourrait s’ensuivre un certain nombre de prises de conscience. Dans l’espace public numérique (étrange espace public à la fois public, privé, privatisé et personnalisé), les tribunes ne cessent en tout cas d’émerger, tentant d’inciter à la réflexivité et d’engager vers de nouveaux projets de sociétés. Certains lisent même dans le confinement actuel la preuve que l’activité économique peut s’arrêter, que le système de production capitaliste peut être ralenti ou redirigé, et y voient une occasion de bifurcation pour les sociétés. Qu’une bifurcation soit sur le point de s’opérer est évident, mais elle présente aussi certains dangers.

D’abord, parce que cette suspension ne semble pas relever d’une décision collectivement concertée, mais plutôt d’une réaction brutalement provoquée. En effet, sauf à décontextualiser les événements, nous n’avons pas la preuve que les sociétés peuvent suspendre leurs activités économiques pour bifurquer vers de nouveaux horizons, ou que le système consumériste qui consume la biosphère peut tout à coup interrompre son processus de destruction. Nous avons plutôt la preuve qu’une fois au pied du mur, une fois la catastrophe humanitaire (et donc économique) imminente et amorcée, un confinement général peut être décrété. Si celui-ci a eu pour effets secondaires de réduire momentanément la pollution de l’air[xi], il constitue néanmoins un dernier recours, une stratégie par défaut, venant compenser une absence d’anticipation[xii] (voire, la destruction de toutes les dispositifs de préparation préalablement engagés[xiii] ).

En effet, sauf à décontextualiser les événements, nous n’avons pas la preuve que les sociétés peuvent suspendre leurs activités économiques pour bifurquer vers de nouveaux horizons, ou que le système consumériste qui consume la biosphère peut tout à coup interrompre son processus de destruction. Nous avons plutôt la preuve qu’une fois au pied du mur, une fois la catastrophe humanitaire (et donc économique) imminente et amorcée, un confinement général peut être décrété

Bref, s’il fallait déduire de cette catastrophe une leçon sur l’évolution des sociétés, sans doute faudrait-il conclure que la plupart des sociétés contemporaines réagissent à des chocs une fois qu’ils sont arrivés plutôt qu’elles n’anticipent collectivement un avenir qu’elles s’emploient à réaliser. Avant de craindre ou d’espérer de futurs modèles de société (totalitairement imposés ou collectivement élaborés), il semble donc nécessaire de s’interroger sur les conditions dans lesquelles quelque chose comme une société peut se projeter – a fortiori quand les sociétés en question sont maintenues dans un état de choc permanent (catastrophe sanitaire, désastres écologiques, crises économiques, menaces terroristes, …). A quelles conditions, autrement dit, un choc peut-il devenir événement ? A quelles conditions peut-il faire époque ? A quelles conditions peut-il produire une bifurcation, ouvrir la possibilité d’un avenir ou de nouveaux horizons ?

Sur ce point, de nouvelles articulations entre recherche (fondamentale ou appliquée) et société civile attendent sans doute de se développer. On peut en effet imaginer que la constitution dans une société, de collectifs transdisciplinaires et inter-professionnels de chercheurs, articulant différents types d’acteurs et se confrontant aux grandes problématiques de la transition, permettrait à cette société d’anticiper plus facilement les chocs auxquels elle est constamment confrontées, en développant une vision d’avenir plus lucide, si ce n’est plus éclairée. Et si un choc reste par définition imprévisible, ce genre de collectifs de recherche pourraient néanmoins constituer des milieux transindividuels à partir desquels, le moment venu, des réponses nouvelles et appropriées pourraient émerger.

Il s’agirait alors d’engager les académiques, les économistes, les citoyens, les professionnels, les industriels, les militants, les associations, les scientifiques, les représentants politiques dans des processus de recherche et d’expérimentation éco-socio-techniques sur le long terme, visant à penser et transformer l’avenir des sociétés hyperindustrielles, en explorant de nouvelles possibilités, sur la base d’une solide réappropriation du passé. La démarche de la recherche contributive proposée par le philosophe Bernard Stiegler et le collectif Internation[xiv] ouvre une voie dans cette direction, comme de nombreuses autres initiatives de recherche socio-technique, de recherche-action ou d’expérimentations territoriales, qui gagneraient sans doute à se multiplier et à se coordonner. On pourrait ainsi espérer une réorientation des activités économiques vers des horizons plus soutenables pour l’environnement, plus solvables économiquement, et plus désirables pour les habitants.

Face à la data economy, réconcilier économie et écologies ?

Car si ce confinement implique effectivement le ralentissement d’un certain nombre d’activités économiques et peut s’apparenter à une mise en suspens provisoire du système d’échanges capitalistes, rien (à part la multiplication des tribunes allant dans ce sens) n’autorise pour l’instant à rapprocher ce ralentissement ou cette mise en suspens d’une quelconque réorientation. Loin d’avoir été réorientés, il semble plutôt qu’un certain nombre de processus ait été provisoirement « supplémentés » (télétravail, chômage technique, chômage partiel, etc. s’apparentent plutôt à des mesures visant à contenir une catastrophe qu’à une réorientation économique). De plus, si ralentissement et suspension il y a, ils ont un coût que personne ne peut encore estimer. Sans changement de stratégie économique, les conséquences risquent d’être catastrophiques : durcissement des politiques d’austérité, accroissement des inégalités, etc[xv]. On mesure mal les effets de la crise  planétaire qui commence à se profiler.

Pendant ce temps néanmoins, du côté de la Silicon Valley, certaines activités économiques ne cessent de s’accélérer, dont les vertus écologiques (mais aussi psychiques et sociales) restent à prouver. Alors que l’application de visioconférences Zoom « a vu son volume quotidien de téléchargements exploser de 1270% entre le 22 février et le 22 mars 2020 » (passant en trois mois de 10 millions à 200 millions d’utilisateurs quotidiens)[xvi], Facebook envisage un accord avec le système de santé public au Royaume-Uni pour distribuer ses cadres photos connectés dans les maisons de retraite isolées[xvii], pendant que, Wing, le service de livraison par drones de Google connaît une augmentation spectaculaire du nombre de clients en ce début de confinement[xviii]… Bref, à peine les gouvernements étaient-ils sortis de la dénégation que les GAFA apportaient leurs solutions : c’est ce qu’on appelle la disruption.

On assiste ainsi à un curieux mélange entre « stratégie du choc[xix] » et « solutionnisme technologique[xx] », dans lequel des dispositifs dont les dangers psychiques et politiques ont maintes fois été soulignés[xxi], apparaissent comme les seuls remèdes à une situation désespérée. S’il semble actuellement difficile d’échapper à ce choc disruptif, il faut néanmoins rappeler que les prétendues « solutions » constituent le plus souvent des pharmaka, à la fois remèdes et poisons[xxii]. Cette ambivalence n’apparaît jamais aussi clairement que quand Palantir Technologies, start-up fondée en 2004 par Peter Thiel (cofondateur de PayPal, investisseur de Facebook et conseiller de Donald Trump) entre en pourparlers avec les pays européens pour leur fournir ses outils d’analyse de données[xxiii] (afin de tracer la propagation du virus Covid-19 parmi les citoyens sur la base du traitement statistique de leurs activités numériques). Bref, si réorientation économique il y a, tout porte à croire qu’elle prend plutôt la direction de la data-economy que celle de l’écologie : les secteurs économiques qui profitent pour l’instant de la situation semblent correspondre à ceux d’un capitalisme numérique libertarien[xxiv], peu connu pour ses projets écologiques, mais bien connu pour son programme transhumaniste (plus préoccupé de cryogénisation que de vaccination, et sans doute plus intéressé par la perspective de coloniser Mars que par celle de prendre soin de la biosphère).

Or, en période de pandémie, il semble problématique d’opposer l’économie à l’écologie, et plus généralement au soin et à la vie. Et pour cause : la vie, que le physicien Erwin Schrödinger[xxv] décrit comme une lutte contre l’entropie, est déjà en elle-même une forme d’économie : en s’organisant (en produisant ses organes biologiques), l’organisme accumule (économise) de l’énergie et diffère sa dissipation entropique, luttant ainsi contre le retour à l’état d’équilibre inorganique. Comme l’explique le biologiste Alfred Lotka[xxvi], le vivant humain, quant à lui, poursuit cette évolution et cette organisation à travers la production d’organes artificiels, détachables et échangeables, qui lui permettent de transformer la « nature » et de commercer avec ses semblables – mais il produit ainsi inévitablement de l’entropie, puisqu’il exploite de nombreuses ressources et dégrade beaucoup d’énergies. Lotka précise que si, à travers ses organisations économiques et sociales, l’humanité ne valorise pas la production d’une sagesse (qu’il distingue des connaissances ou des sciences) permettant d’ajuster les actions collectives à des fins visant le bien de l’espèce, alors l’humanité court à sa perte : faute d’être orientée par cette « sagesse », la production irréversible d’organes artificiels ne peut conduire qu’à l’épuisement des ressources et à la destruction de la vie.

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Presque cinquante ans plus tard, le philosophe Félix Guattari ne dira pas autre chose dans les Trois écologies[xxvii]: il soutient alors qu’ « une prise en charge et une gestion plus collective s’imposent pour orienter les sciences et les techniques vers des finalités plus humaines». Guattari insiste en effet sur la nécessité de réorienter les « révolutions informatiques et robotiques » ainsi que « les objectifs de la production des biens matériels et immatériels », c’est-à-dire du travail et de l’économie, vers les impératifs écologiques de long terme et non vers ceux du seul « profit ». Dans un contexte où, selon lui, les « révolutions informatiques et robotiques » et le « travail machinique » peuvent potentiellement libérer « une quantité toujours plus grande du temps d’activité humaine », il insiste sur la nécessité de mettre « à disposition des moyens de mener des entreprises individuelles et collective » « qui, à court terme, ne ‘profitent’ à personne, mais qui, à long terme, sont porteuses d’enrichissement processuel pour l’ensemble de l’humanité». De telles pratiques sociales et de telles richesses vitales devraient alors devenir de nouvelles valeurs économiques, à travers la mise en place de nouveaux « systèmes » et « instruments » de « valorisation ». Il s’agirait donc de penser une économie au service de la « ré-invention de l’environnement » et de « l’enrichissement des modes de vies » – bref, au service des trois écologies (écologie environnementale, mais aussi écologie mentale et écologie sociale).

Guattari rappelle en effet que « les perturbations écologiques de l’environnement ne sont que la partie visible d’un mal plus profond et plus considérable, relatif aux façons de vivre et d’être en société sur cette planète». Les « trois points de vue écologiques » ne peuvent donc pas, selon lui, être dissociés : « il n’est pas juste de séparer l’action sur la psychè, le socius et l’environnement », « l’écologie environnementale devrait être pensée d’un seul tenant avec l’écologie sociale et l’écologie mentale», affirme-t-il ainsi, à l’époque où « Tchernobyl et le Sida » lui apparaissent comme les « retours  de manivelle » qu’une « nature » anthropisée réservait à l’humanité, dont les « pouvoirs technico-scientifiques » atteignent leurs limites[xxviii]. Aujourd’hui encore, les trois écologies devraient sans doute être articulées, dans la mesure où crise écologique, catastrophe sanitaire, fragilité des systèmes sociaux, accélération technologique et colonisation médiatique des espaces psychiques semblent se combiner.

Face au « solutionnisme technologique », réconcilier culture et technique ?

Il semble en effet que durant ce moment de confinement, dans lequel on aimerait lire l’espoir d’un changement, la majorité des vivants restent néanmoins soumis aux médias télévisuels et numériques qui se battent pour occuper leurs esprits. S’il n’y a pas lieu de déclarer la guerre à un virus, comme de nombreux scientifiques l’ont rappelé[xxix], une guerre pour le « temps de cerveau humain[xxx] » confiné s’est probablement déjà engagée, et avec elle, tous les effets de l’ère post-vérité. La synchronisation planétaire des médias (donc des consciences) autour de la pandémie constitue sans doute en elle-même un événement sans précédent, le virus se répandant à la fois dans les corps et dans les âmes, selon la logique de ce que le théoricien des médias Yves Citton décrit comme une « panique virale[xxxi] ». Peut-être le sentiment d’appartenance commune à la biosphère s’en trouvera-t-il renforcé, mais le temps passé dans les « bulles » de la technosphère ou devant les écrans télévisés lui, ne cessera pas d’augmenter. Il ne s’agit pas de le déplorer, mais simplement d’interroger les effets combinés des médias de masse et des informations ultra-ciblées sur les attentions et les opinions, ce qui suppose de penser le rôle des supports techniques dans le fonctionnement des appareils psychiques et des organisations sociales.

Nous savons aujourd’hui que loin d’être de simples outils techniques, les plateformes numériques et les algorithmes sont des produits historiques porteurs de projets (géo)politiques[xxxii], qui ne cessent d’évoluer dans le temps, reconfigurant les subjectivités individuelles et collectives et bouleversant le fonctionnement traditionnel des sociétés humaines comme leurs rapports mutuels. Si cette mutation n’est pas soudaine ni nouvelle, rares sont sans doute les périodes de l’histoire humaine au cours desquelles l’espace public (qui devient du même coup numérique et privatisé) se soit si vite reconfiguré, alors même que les places et les rues semblent (pour l’instant et provisoirement) désertées. Rares sont sans doute les moments où les rapports entre le chez soi et son dehors ont été si rapidement et si radicalement bouleversés, par l’intrusion de télétechnologies et d’entreprises privées dans des espaces domestiques traditionnellement réservés à l’intimité.

Il semble donc nécessaire de s’interroger sur les enjeux anthropologiques de cette smartification accélérée, afin que ce « coup d’accélérateur pour la ‘planète intelligente’[xxxiii] » puisse du même coup augmenter l’intelligence collective confinée. S’il n’est pas question de dénier la dépendance des sociétés contemporaines aux plateformes technosphériques, ni de prétendre pouvoir lui résister, sans doute gagnerait-elle néanmoins à s’accompagner d’une « culture technique[xxxiv] » permettant aux citoyens de critiquer les effets économiques, psychiques et sociaux non-désirés, et de s’approprier ce nouveau milieu numérique dans lequel l’humanité est plongée depuis (seulement) une trentaine d’années. S’approprier, c’est-à-dire non pas seulement utiliser les outils et consommer les services proposés, mais devenir progressivement capables de transformer les fonctionnalités : comprendre la genèse des smartphones, des applications et des réseaux sociaux, leurs logiques et structures internes, les normes qu’ils contiennent, les questions économiques,, psychiques, sociales qu’ils soulèvent.

Si, comme l’écrit Guattari, « il serait absurde de vouloir retourner en arrière pour tenter de reconstituer les anciennes manières de vivre», est-il encore possible d’inventer de nouveaux arts de vivre, de nouveaux savoir-faire et de nouveaux savoirs théoriques qui permettent d’échapper aux modes de « cyber-vie sous cloche[xxxv]» standardisés ?

Si, comme l’écrit Guattari, « il serait absurde de vouloir retourner en arrière pour tenter de reconstituer les anciennes manières de vivre», est-il encore possible d’inventer de nouveaux arts de vivre, de nouveaux savoir-faire et de nouveaux savoirs théoriques qui permettent d’échapper aux modes de « cyber-vie sous cloche[xxxv]» standardisés ? Est-il encore possible de donner un sens à des milieux techniques (réseaux sociaux, objets connectés, algorithmes, infrastructures dites « smart ») qui semblent générer aliénation et addiction, quand ils ne servent pas la surveillance de la population ? Qu’est-ce que l’opinion publique quand des « bulles de filtres »  plongent les internautes dans des univers fermés et homogènes, calculés sur la base de leurs profils et adaptés à leur insu aux informations qu’ils ont déjà reçues ? Comment donner aux tribunes un pouvoir de changement face à la performativité des algorithmes rétro-agissant en temps réel sur les comportements ? Qu’est-ce qu’un événement politique quand une manifestation peut « avoir lieu » sur une plateforme de jeu vidéo en ligne[xxxvi]? Qu’est-ce qu’un lieu enfin, et qu’est-ce qu’une puissance publique, à l’époque des technologies numériques ?

Si les capacités (psychiques et attentionnelles) de prendre soin sont menacées par une « économie de l’attention » consumériste et pulsionnelle[xxxvii], et si les capacités (sociales) de réflexion et de mobilisation politiques sont menacées par une « gouvermentalité algorithmique » fondée sur un usage non critique de l’intelligence artificielle[xxxviii], de nouveaux agencements entre systèmes techniques, système psychiques et systèmes sociaux semblent nécessaires pour que s’amorce une bifurcation vers la solidarité des vivants et la préservation de la biosphère. On voit de tels agencements s’opérer lorsque les réseaux numériques sont utilisés pour permettre aux groupes d’entraide locaux de s’organiser face à la pandémie[xxxix] ou aux citoyens de s’interroger sur le « monde d’après »[xl] : le pharmakon numérique est mis au service du soin, de la pensée, du lien social, de la solidarité, et non plus de la seule consommation productrice de « dissociétés[xli] ». Se profilent ainsi sans doute, contre le solutionnisme technologique, « des pratiques innovatrices de recomposition des subjectivités individuelles et collectives, au sein de nouveaux contextes technico-scientifiques[xlii] ».

Mais comme l’avait montré le philosophe Jacques Derrida, en déterritorialisant les esprits, la machine télétechnologique produit toujours des effets de « dislocation »,  de « déracinement », de « désidiomatisation » qui risquent eux-mêmes d’engendrer en retour des réactions de rejet et de repli[xliii] – surtout en situation de pandémie, alors que les frontières se ferment et que les contaminations se multiplient. La question des frontières et des localités risque ainsi de se poser avec d’autant plus d’acuité. Sans doute faudra-t-il alors donner à cette question un droit de cité : moins pour statuer sur l’ouverture ou la fermeture de telles ou telles frontières que pour répondre aux besoins de singularité qui s’expriment face à la standardisation des modes de vies et à la « liquidation des localités[xliv] ».

Pandémie et (dé)confinement, du chez-soi à la biosphère

Il s’agirait alors peut-être d’envisager une « re-mondialisation[xlv] » susceptible de « réparer » les effets destructeurs de la globalisation. Il semblera surtout nécessaire de poser les questions de la relocalisation de la production et de la constitution de territoires existentiels habitables et désirables par les populations. Car faute de pouvoir habiter et désirer en pratiquant collectivement toutes sortes de savoirs (et de sagesses), les groupes humains ne peuvent ni anticiper ni orienter les bouleversements qui transforment leurs milieux (toujours  à la fois techniques et sociaux). Ils semblent dès lors condamnés à réagir à des chocs (sanitaires, technologiques, économiques, écologiques) qui sont autant de retours du refoulé d’un développement technique désajusté. D’un développement technoscientifique et industriel qui n’obéit plus aux lois d’aucune « économie » à proprement parler, mais à « l’imperium d’un marché [global] qui lamine les systèmes particuliers de valeur[xlvi] » localisés. Abandonné à une telle « déséconomie[xlvii] », qui ne valorise plus ni les savoirs ni le soin ni les solidarités (ni les diverses manières de les pratiquer en fonction des diverses localités), ce « développement » ne peut que progressivement empoisonner la forme technique de la vie qu’on appelle l’humanité.

Anne Alombert (avec l’aide de Benoît Robin et de Cécile Chatelet).

Remerciements

Ce texte a été écrit avec l’aide de Benoît Robin, suite à un message de Gérard Berréby et à un message de Thomas Wooding, et dans le contexte de nombreux échanges et discussions, notamment avec Benoît Robin, Daniel Ross, Véronique Eynard-Machet et Claude Alombert. Cécile Chatelet a accepté de relire ces pages, de les « corriger », de suggérer des modifications, et surtout, d’en discuter – je la remercie beaucoup, ainsi que Diane Wakim, Emilien Cristia,Ronan Mugelé et Augustin Lesage (pour leurs lectures, leurs commentaires, leurs réflexions).

Notes

[i] J. Delumeau, La Peur en Occident : Une cité assiégée (XIVe-XVIIe siècle), 1978. Je remercie Gérard Berréby de m’avoir envoyé ce texte, ainsi que celui-ci : https://lintervalle.blog/2020/04/02/avec-ce-quil-leur-reste-a-propos-dune-pandemie-par-gerard-berreby-editeur-poete-5/.

[ii] Dans la psychanalyse freudienne, la période de latence désigne le moment du développement psychique qui s’étend de l’enfance à la puberté et à l’adolescence. Freud élabore cette théorie notamment dans Trois essais sur la théorie sexuelle, œuvre qui date de 1905. Il revient sur cette notion à la fin de sa vie, et tente alors d’en élargir la portée. Voir sur ce point : S. Freud, L’Homme Moïse et la religion monothéiste, 1939.

[iii] Toutes les citations entre guillemets dans ce paragraphe proviennent de  S. Freud, L’Homme Moïse et la religion monothéiste, 1939.

[iv] La pandémie est apparue en France dans le contexte d’une grève massive des personnels soignants de l’hôpital public pour protester contre le manque de moyens et de personnels dans les hôpitaux. Ce mouvement en cours depuis mars 2019, a été amorcé par les urgentistes et a conduit à la démission de 1000 médecins chefs de service de leur fonction administrative : http://www.rfi.fr/fr/france/20200214-france-h%C3%B4pital-public-poursuit-gr%C3%A8ve-1000-chefs-service-d%C3%A9missionnent

Sur les causes et les effets de la gestion « managériale » et « néolibérale » de l’hôpital public, voir https://www.collectif-inter-hopitaux.org/, ainsi que (par exemple) les  récents articles de Barbara Stiegler (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/09/barbara-stiegler-la-crise-due-au-coronavirus-reflete-la-vision-neoliberale-de-la-sante-publique_6036059_3232.html), Alain Supiot (https://www.alternatives-economiques.fr/alain-supiot-seul-choc-reel-reveiller-dun-sommeil-do/00092216) et Frédéric Lordon (https://blog.mondediplo.net/operation-resiliation).

[v]            Voir par exemple : https://www.liberation.fr/debats/2020/04/01/apres-cette-histoire-la_1783857?fbclid=IwAR2IpYgBj8kU1ZjZ6oLoG4NCgc856gyl4EfPGZwOPiDjJrLT5OYxrd0Ys1o

Ou : https://www.mediapart.fr/journal/france/110420/ce-que-le-confinement-nous-apprend-de-l-economie?onglet=full

[vi]           Sur ce point, voir les témoignages et entretien de Bruno Canard, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des coronavirus :  http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8685 ; https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-science-fondamentale-est-notre-meilleure-assurance-contre-les-epidemies. La pandémie est apparue en France dans le contexte d’une mobilisation des chercheurs et universitaires contre la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche.

[vii]          Sur les liens entre la destruction des écosystèmes et la propagation des virus du type du CoVid 19, voir par exemple les analyses de Sonia Shah : https://www.monde-diplomatique.fr/2020/03/SHAH/61547

[viii]         L’un des principaux représentants de ce mouvement se nomme Raymond Kurzweil : auteur de Humanité 2.0La Bible du changement, il est aussi directeur de l’ingénierie chez Google.

[ix]           « Pour ma part, je ne parlerais pas de reniement, mais plutôt de choc de réalité. C’est la foi en un monde gérable comme une entreprise qui se cogne aujourd’hui brutalement à la réalité de risques incalculables. » A. Supiot,  https://www.alternatives-economiques.fr/alain-supiot-seul-choc-reel-reveiller-dun-sommeil-do/00092216.

[x]            Par exemple, comme le souligne Barbara Stiegler : “Restez chez vous mais allez voter” ou “Restez chez vous mais allez travailler” https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/09/barbara-stiegler-la-crise-due-au-coronavirus-reflete-la-vision-neoliberale-de-la-sante-publique_6036059_3232.html

[xi]           Sur les effets du confinement sur la pollution et l’écologie plus généralement, voir par exemple : https://reporterre.net/Pour-le-climat-il-y-aura-un-avant-et-un-apres-coronavirus ou https://www.wedemain.fr/Pourquoi-l-epidemie-est-une-fausse-bonne-nouvelle-pour-la-planete_a4631.html

[xii]          De nombreux articles soulignent que si l’épidémie avait été anticipée (si la réalité n’avait pas été déniée), des tests auraient dû être commandés, la population massivement testée et seuls les porteurs du virus confinés, le confinement généralisé n’étant qu’un dernier recours pour éviter la surcharge des hôpitaux. Sur ce point, Taïwan apparait comme un « exemple » dans la « gestion » de la crise.  Voir  l’article de Gaël Giraud : https://reporterre.net/Depister-et-fabriquer-des-masques-sinon-le-confinement-n-aura-servi-a-rien ou de Daniel Ross : https://mathematicalcrap.com/2020/03/27/guest-post-failing-the-coronavirus-test/.

[xiii]         Voir sur ce point le témoignage de Didier Torny dans l’article de François Bonnet : https://www.mediapart.fr/journal/france/030420/gerer-le-covid-19-pourquoi-l-etat-et-l-executif-ont-tout-oublie

[xiv]         B. Stiegler, Etats de choc. Bêtise et savoir au XXIème siècle, 2012 et B. Stiegler (dir.) et Collectif Internation, Bifurquer. Elements de reponse a Antonio Guterres et Greta Thunberg, 2020 (à paraître).

[xv]          Sur la question de la crise financière et des dynamiques économiques engendrées par la pandémie, voir (notamment) l’analyse de Gary Stevenson : https://www.opendemocracy.net/en/oureconomy/following-coronavirus-money-trail/ (je remercie Dan Ross de m’avoir envoyé cet article, ainsi que pour ses commentaires et réflexions à ce sujet) ; celle de Frédéric Lordon : https://blog.mondediplo.net/coronakrach ; ou celle de Paul Jorion : https://qg.media/2020/03/25/l-etat-providence-doit-etre-inscrit-dans-la-constitution-par-paul-jorion/.

[xvi]         https://www.usine-digitale.fr/article/l-application-de-visioconference-zoom-a-atteint-les-200-millions-d-utilisateurs-quotidiens.N949441

[xvii]        https://www.wired.co.uk/article/facebook-portals-in-uk-carehomes

[xviii]       https://www.usine-digitale.fr/article/le-covid-19-un-accelerateur-pour-le-service-de-livraison-par-drone-wing-de-google.N952016

[xix]         N. Klein, La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre., 2007.

[xx]          E. Morozov, Pour tout résoudre, cliquez ici. Les aberrations du solutionnisme technologique., 2013.

[xxi]         Concernant les enjeux psycho-sociaux, voir par exemple : www.lemonde.fr/sciences/article/2017/05/31/la-surexposition-des-jeunes-enfants-aux-ecrans-est-un-enjeu-majeur-de-sante-publique_5136297_1650684.html). Concernant les enjeux politiques, voir par exemple :  https://thesocietypages.org/cyborgology/2016/08/13/mimesis-violence-and-facebook-peter-thiels-french-connection-full-essay/) ou https://www.theguardian.com/technology/2014/jul/20/rise-of-data-death-of-politics-evgeny-morozov-algorithmic-regulation).

[xxii]        Le terme grec de pharmakon est intraduisible car il désigne à la fois le poison et le remède. Dans un dialogue intitulé Le Phèdre, il est utilisé par Platon pour décrire l’écriture, qui constitue à la fois un remède permettant d’augmenter la mémoire (en écrivant ce qui est à retenir) et un poison susceptible de la détruire (ce qui a été écrit n’a plus besoin d’être retenu). Jacques Derrida a exhumé cette notion et mis au jour ses enjeux philosophiques : à sa suite, Bernard Stiegler l’a mobilisée pour penser non plus seulement l’écriture, mais la technique en général. Voir J. Derrida, « La pharmacie de Platon », 1972 et http://arsindustrialis.org/pharmakon.

[xxiii]https://www.usine-digitale.fr/article/covid-19-des-pays-europeens-dont-la-france-se-rapprochent-de-palantir-pour-traquer-le-virus.N949346 (je remercie Benoît Robin de m’avoir signalé cette information, ainsi que pour ses commentaires et la discussion).

[xxiv]https://next.liberation.fr/culture/2015/09/17/les-libertariens-sont-parmi-nous_1374248

[xxv]        E. Schrödinger, Qu’est-ce que la vie ?, 1944.

[xxvi]       A. Lotka, « The law of evolution as a maximal principle », Human Biology, 1945.

[xxvii]      F. Guattari, Les Trois écologies, 1989.

[xxviii]     Toutes les citations entre guillemets dans les deux paragraphes précédents proviennent de F. Guattari, Les Trois écologies, 1989.

[xxix]       Sur ce point, voir notamment les analyses de Bernard Umbrecht sur la base des travaux de Karin Mölling : https://www.lesauterhin.eu/au-commencement-etait-le-virus/

[xxx] « Le ‘temps de cerveau humain disponible’, selon l’expression formulée en 2004 par Patrick Le Lay, alors président-directeur général du groupe TF1, est ce que la chaîne de télévisionTF1 vendait à ses annonceurs : ‘Ce que nous vendons à Coa-Cola c’est du temps de cerveau humain disponible’ », https://fr.wikipedia.org/wiki/Temps_de_cerveau_humain_disponible.

[xxxi]       Y. Citton, « Panique virale : comment ne pas rater la catastrophe ? », AOC : https://aoc.media/analyse/2020/04/06/panique-virale-comment-ne-pas-rater-la-catastrophe/

[xxxii]      D. Cardon, A quoi rêvent les algorithmes ?Nos vies à l’heure des big data, 2015. Sur les enjeux géopolitiques et technologiques de la pandémie, voir (notamment) l’article de  Yuk Hui  https://www.e-flux.com/journal/108/326411/one-hundred-years-of-crisis/

[xxxiii]     « Leur virus, nos morts », Pièces et Mains d’Oeuvres :

http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/leurs_virus_nos_morts.pdf

[xxxiv] Sur la notion de « culture technique », voir G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, 1958.

[xxxv] « Leur virus, nos morts », Pièces et Mains d’Oeuvres :

http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/leurs_virus_nos_morts.pdf

[xxxvi]https://www.newsweek.com/coronavirus-age-protest-how-pandemic-could-change-way-we-organize-1496701 (je remercie Benoît Robin de m’avoir signalé cet article, ainsi que pour ses commentaires à ce sujet).

[xxxvii]    Y. Citton, L’économie de l’attention : Nouvel horizon du capitalisme ?, 2014 ; B. Stiegler, La société automatique t.1 L’avenir du travail, 2015.

[xxxviii]   A. Rouvroy, « Adopt AI, think later ! » : http://www.internetactu.net/2020/03/02/adopt-ai-think-later-la-methode-coue-au-secours-de-lintelligence-artificielle/

[xxxix]     Voir par exemple la pétition pour un retournement de la stratégie du choc : https://www.terrestres.org/2020/03/21/face-a-la-pandemie-retournons-la-strategie-du-choc-en-deferlante-de-solidarite/, et la mise en place d’un réseau d’entraide pour faire face à la pandémie : https://covid-entraide.fr/.

[xl]           Voir par exemple le projet de dialogue mondial pour un changement systémique : https://globaldialogue.online/fr-participer/

[xli]          J. Généreux, La dissociété. A la recherche du progrès humain, 2011.

[xlii]         F. Guattari, Les Trois écologies, 1989.

[xliii]       J. Derrida, Foi et Savoir, 2000.

[xliv]        B. Stiegler, Qu’appelle-t-on panser ? t.1 L’immense régression, 2018.

[xlv]Sur la question de la « remondialisation », voir A. Supiot (dir.), Mondialisation ou globalisation ? Les leçons de Simone Weil, 2019 et B. Stiegler (dir.) et Collectif Internation, Bifurquer. Elements de reponse a Antonio Guterres et Greta Thunberg, 2020 (à paraître).

[xlvi]        F. Guattari, Les Trois écologies, 1989.

[xlvii]       B. Stiegler, Qu’appelle-t-on penser, t. 2 La leçon de Greta Thunberg, 2019.