La maison Gallimard a miraculeusement retrouvé ces trois fragments perdus de Francis Ponge, qu’un éditeur de la rue Sébastien-Bottin souhaitant rester anonyme nous a fait parvenir. La rédaction de Zone Critique s’interroge : le poète du minuscule est-il réellement à l’origine de ces textes ? Quoi qu’il en soit, ces addenda au Parti pris des choses nous semblent plus que jamais d’actualité.

L’ÉCOUVILLON

À mi-chemin de l’écoutille et de l’oreillon, la langue française offre l’écouvillon, simple tige à tête cylindrique vouée au nettoyage ou à l’exploration nasale. Par ses dimensions, il est semblable à son cousin, le bâtonnet ouaté que pourtant tout oppose. La pratique de l’écouvillon est aussi violente et encouragée que celle du coton-tige est douce et interdite. Agencé de façon qu’au terme de son usage, il puisse être détruit sans remords, l’écouvillon ne sert pas deux fois. Il est l’instrument d’une torture délicieuse qui sonde les narines moins sûrement que les reins et les cœurs. Mais le poète, au cours de son exploration, réussit le test rhinopharyngé les doigts dans le nez.

LE MASQUE

Précisons tout d’abord qu’il doit couvrir le nez et la bouche. La surface du masque est rugueuse en raison de ses nombreux plis : c’est comme si l’on avait un accordéon installé sur le menton. Demi-cercle plié, tissu refermé en alcôve, abandonné sur mon chevet : seul comme un poulpe échoué tu te recroquevilles et sur toi pullulent les cellules tombées, les gouttelettes au quotidien recueillies. Tes bras sont torturés de ne pouvoir se séparer, de n’être que menottes sans serrure, ils se tordent comme les arbres fous d’un automne sans feuilles. (Il y a bien d’autres choses à dire des masques : leur couleur stérile, les normes Afnor et leur extensibilité.) Certainement, c’est parfois une gêne d’emporter partout avec soi ce morceau de tissu mais pensons aux escargots et à leur coquille : ils ne s’en plaignent pas et en sont, tout compte fait, bien contents. Il est précieux, où que l’on se trouve, de défier la couronne minuscule. Petit manteau fragile, chiffon promu au rang d’utilité publique, sa force réside dans sa légèreté. On pourrait presque l’oublier, ce casque inversé, bouclier sans masse qui nous garde d’un virus en embuscade. Nous sommes cérémonieusement attifés mais la symbiose ne s’accomplit jamais.

LA SOLUTION HYDROALCOOLIQUE

Ce gel aseptisant assure avec la dignité d’un sergent l’hygiène des mains. La lâcheté de sa forme visqueuse et vaporeuse se répand sur la peau formant une couche blanche et brillante, informe et fraîche, présente et absente. On s’enivre de son odeur vague et volatile comme le rêve d’un ivrogne et on se plie à la mécanique du geste imposé, presque religieux. Les mains se recroquevillent pour l’obole liquide de l’hostie sanitaire. Ainsi, aux antipodes de la saoulerie sauvage, la solution hydroalcoolique, destinée à être distribuée, effectue doctement son sacrifice cutané.