Illustration : Yan Nascimbene

Le jour où je suis devenue lectrice : Le Baron perché 

Illustration : Yan Nascimbene

Avant de commencer à parler du Baron perché d’Italo Calvino, je tiens à dire que je ne suis pas de celles qui relèguent les albums jeunesse, la bande-dessinée et la littérature fantastique à de la sous-littérature, bien au contraire. Claude Ponti, Philip Pullman, Jean-Claude Mourlevat ou encore Don Rosa … Ils ont fait de moi la lectrice que je suis aujourd’hui. Si je voulais sérieusement remonter aux origines de mon goût pour la lecture, je rendrais hommage à Gafi le fantôme que je retrouvais impatiemment chaque jour. Mais seuls certains ouvrages ont le privilège de semer secrètement en nous la graine d’une véritable vocation littéraire. Mon cœur va au Baron perché d’Italo Calvino pour lequel j’éprouve un attachement particulier et qui du plus loin que je me souvienne m’a ouvert la porte du monde étrange et enivrant de la littérature.

Commençons par l’objet-livre aux éditions du Seuil. Je fus immédiatement intriguée et séduite par cet ouvrage relativement imposant à la couverture rose pêche et vert allemand ainsi que par la présence d’illustrations dans ce roman à l’apparence sérieuse. Le titre, composé du mot “baron” accolé à l’adjectif “perché”, me séduisit terriblement lui aussi en raison de sa majestueuse excentricité. Il faut dire qu’au collège, l’étiquette “perchée” m’était souvent attribuée par mes congénères. Je ne pouvais donc que bien m’entendre avec ce jeune baron qui surgissait de manière imprévue dans ma vie, et qui de surcroît n’avait que douze ans seulement, soit deux ans de plus que moi. Conquise, je me plongeais dans l’univers enchanteur et champêtre de Côme Laverse du Rondeau, projetée au cœur de l’aristocratie du Nord de l’Italie.  Rappelons le fil conducteur du roman ; à la suite d’une dispute avec ses parents, Côme décide de monter au sommet de l’arbre du jardin familial, jonchant la forêt, et de ne plus jamais en descendre. Promesse qu’il tiendra jusqu’à sa mort.

Premier point commun avec le baron : ce goût prononcé de l’irrévérence et cette soif d’émancipation. Italo Calvino fit le bonheur de la collégienne effrontée que j’étais en remettant en question le joug des conventions sociales. Je n’avais alors aucunement connaissance de l’existence de la philosophie anarchiste mais je sentais bien que ce vent de liberté innommé m’était intimement familier. Deuxième similitude : l’environnement rural, l’aventure de Côme prenant racine dans une villa familiale à la campagne. Or, je découvris Le baron perché dans la contrée haute-garonnaise de mon enfance, ayant grandi à la lisière d’une forêt. Je compris donc instinctivement le lien intime qui unissait le jeune garçon aux arbres de sa demeure.

Avec son érotisme latent, Le Baron perché est devenu pour moi le livre des soirs d’été, des premiers amours et des possibilités infinies.

Grande passionnée d’histoire, cette épopée relatant le cours d’un siècle me tenait en haleine. Le trait fin et naïf de Yan Nascimbene accompagnait ma lecture, mettant à l’honneur les élégantes tenues du siècle des Lumières. Ces illustrations empreintes d’une fraîcheur juvénile ont pour moi délicatement opéré le passage des albums illustrés aux romans respectables. Puis vint la découverte du désir à travers l’insondable personnage de Violette la Marquise. Avec son érotisme latent, Le Baron perché est devenu pour moi le livre des soirs d’été, des premiers amours et des possibilités infinies. Je me demande parfois d’où me vient ma passion indéfinissable pour le XVIIIe siècle, mais je réalise aujourd’hui qu’Italo Calvino est le premier à avoir éveillé en moi cette quête d’un libertinage pétri d’idéalisme et d’anarchisme.

Illustration : Yan Nascimbene

“Ils se connurent. Il la connut et se connut lui-même parce que, réellement, il n’avait jusque-là rien su de lui. Elle le connut et se connut elle-même parce que, en sachant tout ce qu’elle était, elle ne l’avait jusque-là jamais si bien senti.”

Loin de se circonscrire au genre romanesque, Le Baron perché est en partie un conte philosophique. Sa portée morale m’échappait un tant soit peu, décuplant mon envie de le relire afin que je puisse percer le mystère de cette double lecture. Maintenant jeune adulte, je ne cherche pas à relire ces romans qui ont marqué mon enfance, de peur de ne pas retrouver l’émerveillement d’antan. Mais peut-être bien que je ferais une exception pour Côme Laverse du Rondeau et que je m’aventurerais un jour à bras-le-corps dans la trilogie “Nos ancêtres”, comprenant la suite du présent ouvrage avec Le Vicomte pourfendu et le Chevalier inexistant.