Du 6 au 15 décembre s’est déroulée la 14ème édition du Festival Impatience dans 7 différents lieux culturels d’Ile de France (CENTQUATRE-PARIS, Jeune Théâtre National, Les Plateaux Sauvages, TLA – scène conventionnée à Tremblay-en-France, Théâtre de Chelles, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN, Théâtre 13). Le Festival dédié à la jeune création soutient les démarches créatives fortes et ambitieuses aussi bien dans le jeu, la forme, la scénographie ou dans le texte… Zone Critique a ainsi pu découvrir le travail de Sarah Espour aux Plateaux Sauvages avec sa création Les Dévorantes jouée les 14 et 15 décembre. 

Une belle mise en lumière

Dans une atmosphère électro grunge, on plonge dans les abîmes.

Ce qui est remarquable c’est la capacité de Sarah Espour de savoir tout faire. La distribution donne la couleur : l’artiste assure la conception du spectacle, la composition de la musique, l’écriture et l’interprétation de la pièce. Sur scène elle est accompagnée du batteur Lucas Veriepe. Ensemble, iels s’élancent dans l’ouverture psychédélique d’une boîte de pandore et des nombreuses questions qui se posent face aux femmes violentes.

L’exploration est avant tout sensorielle, les lumières pensées par Jean Battistoni sont un vrai plaisir pour les yeux. Elles participent à l’esthétique très épileptique du tout, comme les éclats lumineux de ces paroles féminines.

L’œuvre est très harmonieuse dans une atmosphère électro grunge avec de beaux visuels. Le lourd drap couleur métallique suspendu en fond de scène, dans lequel Sarah Espour vient s’enrouler, brise la droiture du décor et donne un effet de vertige comme si un mur porteur allait s’effondrer sur l’actrice. Elle est entourée de reflets bleutés qui se réverbèrent autour, comme une plongée dans les abîmes. La scénographie est intelligente, tous les espaces sont portés par la lumière qui délimite et soutient les tableaux et tout particulièrement ceux musicaux.

Des musiques envoûtantes 

La performance Les Dévorantes est aussi bien théâtrale que musicale. Après s’être interrogée sur ces femmes violentes et les questions qu’elles portent malgré elles, Sarah Espour continue ses réflexions dans un écho musical. Sa voix très douce et innocente mue pour des sonorités plus chargées et saturées. Le texte de ces chansons originales est basé sur des réflexions singulières face à ces questions ou bien elle met en partitions les récits de ces femmes. C’est particulièrement dans ces moments de micro-concerts que le travail de la lumière est le plus riche et permet une synesthésie forte, qui nous donne envie de transformer nos yeux en appareil photo pour capturer ces moments spectaculaires de la sublimation d’une parole.

Et si la violence n’était pas qu’une affaire d’hommes ? Peut-on concevoir la transgression comme une forme d’émancipation ?

L’accompagnement du texte par une batterie est un choix judicieux, tout d’abord par la grande virtuosité du musicien Lucas Veriepe mais en plus par les qualités rythmiques et palpitantes de cet instrument. La batterie permet des montées en puissances et accentuations qui aident à souligner des passages dans les extraits sélectionnés. Le texte se veut une porte ouverte vers des réflexions sociales plus profondes. Pour reprendre les mots de Sarah Espour : “ Quelles émancipations possibles pour une femme au sein de nos sociétés d’une brutalité parfois inouïe ? Et si la violence n’était pas qu’une affaire d’hommes ? Peut-on concevoir la transgression comme une forme d’émancipation ?”

Un kaléidoscope de questions

Tuer un homme qui est aussi votre mari c’est alors transgresser deux fois.

Ces femmes violentes, meurtrières et criminelles, portent en elles ces questions qu’elles le veuillent ou non. Les portraits choisis par l’autrice sont souvent des figures de jeunes femmes voire d’adolescentes, qui par différentes décisions de vie finissent par commettre des crimes. La trajectoire brisée est d’autant plus grande que ce sont des femmes encore dans un âge d’innocence et de possibles. Le contraste entre les devoirs attendus de ces femmes – maternels, matrimoniaux – et le rejet de ces derniers avec une infinie violence créent un grand trouble. Les archives sonores, où l’on entend l’interrogatoire d’un juge au procès de l’une d’entre elles, le montrent bien : les questions posées portent aussi bien sur l’acte commis que sur le manquement aux “devoirs féminins”. Tuer un homme qui est aussi votre mari c’est alors transgresser deux fois. La dissemblance entre la douceur et le monstre est aussi très bien portée par la voix chantante et caressante de l’actrice, qui nous adresse ces questions une hache à la main en menaçant d’aller tuer sa mère dans le public.

On sent que le sujet a été couvert en long en large et en travers par Sarah Espour avec un choix minutieux des extraits d’archives ou de textes. Peut-être est-ce même trop fragmenté et manque parfois de clarté dans les enjeux des scènes pour pouvoir nous emparer plus intimement encore de ces questions complexes. A trop mettre de contraste il peut parfois nous manquer de liant pour pouvoir naviguer dans ces interrogations.

Néanmoins, la pari de surprendre, d’inspirer et de performer est réussi : aussi bien par le sujet que la forme, Sarah Espour est au cœur du théâtre de demain.

  • Les Dévorantes, conception, composition musicale, écriture et interprétation par Sarah Espour

Crédit photo : (c) Mehdi Godfroid