Publié aux éditions Vanloo dans la collection V2O, tutu est le nouveau recueil de Jean-Daniel Botta, également contrebassiste de jazz, chez qui on reconnaîtra volontiers un goût heureux pour Cher Baker ; tutu, ou nightbird en plein jour, l’histoire chantée du regard, cœur de la ballade.

Avec ses airs de vinyle irisé, le recueil de Jean-Daniel Botta amorce une histoire poétique de soi où la parole joue sa partition, et sa langue. Tout vient d’une voix qui de sa bouche sonorise la trompette de l’espace où danser.

« Avant la bouche c’est déjà commencé

la soif nage sans museau

on est à la traîne avec le projet de s’embrasser.

Pourtant la soif est accepté

par un plus grand nombre de personnes. »

Soif dis-tu du commun qui vient, bouches jointes qui trépignent du balbutiement, du mot né de l’écume.

« On attend un tremblement dans l’eau

par où arrivera l’agitation de la bouche.

Qu’il y ait le même type de nervosité dans l’eau

que sur la personne. »

Au son où la nuit t’embarque, c’est la poésie encore, pouvoir de l’image et de ses espaces : l’image est toujours un horizon possible, pas de –

« Dès le matin

on va se ruer vers la ressemblance.

On se tient immobile devant le courant

même si la joue est un mammifère très occupé. »

Chez Jean-Daniel Botta, aucune élucubration, l’image est toujours au plus près du réel, d’un réel déjoué et amusé, un retentissement possible.

Les images-horizons, dis-je encore, car elles opèrent dans l’esprit, où le mot sonorise, qui trompette à tutu-tête la vacance de l’ivresse. Aucune délire chez Jean-Daniel Botta, aucune élucubration, l’image est toujours au plus près du réel, d’un réel déjoué et amusé, un retentissement possible ; être là, dire le vinyle irisé du bruit qui monte, et jouer sa partition, encore :

« Devant la boîte de nuit le garçon fume des cigarettes

pour ne pas s’enfoncer dans la neige. »

c’est un enchevêtrement de paroles la poésie qui se fait concert, de concert, fixant la mobilité des sons qui nous reviennent de la bouche à la mémoire vive. La musicalité, elle, laisse émerger le lieu de l’enfance collective.

« Entre la bouche et le lointain

c’est un endroit pour un certain temps.

Par la bouche entrouverte de ma grand-mère

je vois les arbres qui arrivent. Elle dit

Sombrer n’a pas commencé avec toi. »

Les voix qui irriguent le texte sont multiples, on ne cherche pas d’où elles viennent puisqu’elles s’élancent dans cette dissémination qui tourne sur elle-même / danse/, répétition des images, éclosions des horizons, et dires.

« Le garçon dit

Je dois voir ton visage dans un grand fracas

un fracas de protéines.

J’aimais comment tu renouvelais tes joues

j’aimais ta mâchoire, tes os

ça me rendait gentil et si déprimé.

Une raclée est un mémorial pour les mains. »

Et de ces imaginaires qui arriment lentement, il y a cette contamination progressive de Chet Baker, un familier, presque un parent, qui essaime à son tour, relai-trompette.

« Enfant je me frotte, jusqu’à la majorité

sur les carreaux, en pur sédentaire.

Je dépose des bisons je sors des militaires

je me frotte je mémorise

j’ai tout un système de héros sous la main

un dispositif de bisons à l’épreuve du sol.

Le soir Chet Baker et ma mère

feront basculer la salive d’une tête à l’autre

c’est le savoir-faire et une façon quotidienne. »

Tutu, c’est beau comme un récit endansé qui explose d’images, de jeux et d’imbrications des musiques qui nous habitent, voix enfouies, à venir, et bien d’autres. Tutu : porter et laisser l’empreinte, trace, segment encore qui enrôle.

« Mort est une règle de marche que la neige ne peut copier.

Déjà peu profond

c’est un moment d’empreintes qu’on perd.

Mort minimisez l’usure au sol. »

Jean-Daniel Botta, tutu, éditions Vanloo, 2022