Perdu au cœur de la verdure du bois de Vincennes, Marie Mahé nous plonge dans l’univers oppressant, électrique et ensanglanté avec sa mise en scène d’ADN de Dennis Kelly au théâtre de la tempête. Une mise en scène minimaliste qui laisse grande place à l’écriture vibrante et coup de poing du dramaturge britannique et le jeu sincère et impliqué de ses comédien.ne.s.

La pulsation du texte  

 Comme un dessin très réaliste tracé uniquement au crayon de bois, Dennis Kelly sait où noircir le trait et où laisser un morceau de page blanche.

Dennis Kelly fait parti de ces grand.e.s auteur.ice.s qui savent disséquer proprement les Hommes et les confronter à leur contradictions, leur monstruosité mais également leur vertu. Le texte est oral, hésitant, proche de nous. L’écriture souvent bégayante, comme après un choc, parvient, avec une économie assez remarquable de moyen, à mettre en scène notre versatilité. Comme un dessin très réaliste tracé uniquement au crayon de bois, Dennis Kelly sait où noircir le trait et où laisser un morceau de page blanche.
Nous sommes aussi presque immédiatement amenés à une grande proximité avec les personnages, qui lentement, presque passivement s’engluent dans une mer de sang et de larmes. La frontière entre “quelqu’un de bien” et un.e meurtier.ère est comme une feuille de papier calque. Il suffit d’un faux contact en nous pour faire exploser notre humanité. C’est dans cette veine grésillante que s’inscrit ADN (Acide Désoxyribonucléique).
Un groupe d’adolescent.e.s s’amusent à harceler Adam, un de leur camarade. Le bizutage tourne alors au cauchemar, lorsque Adam d’abord lapidé par ses “ami.e.s”, glisse et tombe dans un puit. Il sombre, disparaît, meurt et le groupe se retrouve face à un choix : comment se sauver ?

Le texte est assurément la colonne vertébrale de la pièce.  La scénographie est presque vide : un banc, des néons rouges posés au sol et une toile peinte accrochée en fond de scène qui reproduit les deux mains de La Création d’Adam de Michel Ange. Un seul effet scénique est utilisé au début de la pièce, où nous entrons dans une salle plongée dans une lumière rouge, le comédien Achille Reggiani nous attend assis sur le banc, calme, puis quand la lumière rouge s’éteint, la couleur reste posée sur ses mains ensanglantées. C’est l’unique artifice, le texte a comme moissonné le reste et l’enjeu principal de la metteuse en scène semble être de nous faire entendre et pulser au rythme de ces mots qui s’entrechoquent, ne s’écoutent pas et ne parviennent pas à communiquer entre eux.

(c) Ema Martins

Articuler le groupe

Tour à tour, les personnages vont ajuster, accepter, évoluer au sein du collectif et chercher à trouver leur place dans leur monde sans dessus dessous.

La question du groupe est un des thèmes que Marie Mahé a souhaité mettre en avant. La tragédie nait de deux choses : la violence d’un groupe où les suiveur.euse.s ne s’interrogent plus sur leurs actes, puis l’incapacité des individu.e.s qui constituent ce groupe à pouvoir communiquer entre elles.eux.
La pression sociale et l’envie de se fondre dans une masse, plus ou moins pensante, sont des préoccupations assez centrales particulièrement pendant l’adolescence. Ce thème a souvent été abordé dans l’art, par exemple dans son film de 2012, The We and the I, Michel Gondry montre avec justesse l’évolution des comportements en fonction de l’entourage. L’histoire est simple, les élèves d’un lycée du Bronx grimpent dans un bus pour un dernier trajet ensemble avant l’été. Le groupe d’adolescents  se transforme au fur et à mesure que le bus se vide. Les relations deviennent alors plus intimes et sincères.
Il en va de même pour ADN. Tour à tour, les personnages vont ajuster, accepter, évoluer au sein du collectif et chercher à trouver leur place dans leur monde sans dessus dessous. Pour que finalement, le personnage de Léa, interprété par Léa Luce Busato, ose le détachement et la prise de position morale fasse à ce groupe qui s’entraîne vers le bas.
La dynamique et la joie que les comédien.ne.s ont a jouer entre elles.eux est visible. Les qualités des corps, des voix et des gestes sont très tranchées et complémentaires. Maxime Boutéraon, jouant le rôle de Phil, touche un endroit de justesse dans une extrême lenteur et précision, là où Marie Mahé interprétant Cathy, incarne une énergie sourde et puérile du souci du grand frisson. Achille Reggiani a quelque chose du cowboy fané et de la brute qui fait de la tachycardie.

(c) Ema Martins

 Se tâcher de sang 

On aimerait que le rouge bien délimité des mains ensanglantées, qui s’arrête sagement aux poignets, dégouline plus et tâche un peu la mise en scène.

Le cocktail Molotov des acteur.ice.s donnent envie de quelque chose de plus explosif encore au plateau. La pudeur, le silence, l’immobilité, la crispation fonctionnent et nous captent, mais il nous manque parfois quelque chose d’un peu plus sale. On aimerait que le rouge bien délimité des mains ensanglantées, qui s’arrête sagement aux poignets, dégouline plus et tâche un peu la mise en scène. Le respect et le travail fin du texte est remarquable, mais le souci de bien faire peut empêcher d’explorer une direction plus “convulsante”. D’autant plus qu’on en voit un fragment dans la danse/transe envoutante de Léa Luce Busato sur Dance Monkey de Tones and I.
Le travail reste intelligent, humble et bien fait. Nous avons seulement envie de plus entendre la voix de Marie Mahé et de mieux saisir son regard singulier et sensible.

ADN  est une mise en scène fidèle et intelligente du texte captivant de Dennis Kelly, les acteuri.ce.s sont touchants et complets, Marie Mahé nous trace à l’encre rouge la promesse d’une belle envolée artistique.

(c) Ema Martins