Camille Laurens revient avec un nouveau roman, promesse d’une balade psychologique : Celle que vous croyez paru en décembre chez Gallimard. Et, bien que l’auteur mette en garde dès le titre, le lecteur tombe dans le piège de cette intrigue captivante à la construction ambitieuse.
La quatrième de couverture annonce une histoire à la fois simple et contemporaine : une femme use d’un avatar sur Facebook pour traquer son amant. Cette professeure émérite, la quarantaine, devient donc Claire Antunès, une jeune femme de 24 ans qui travaille dans la mode. En devenant une jeune fille, elle espère à nouveau être aimée. Derrière cette manipulation, qui à l’ère du tout numérique, ne choque plus personne, Camille Laurens réussit à mettre en avant plusieurs réflexions sociologiques comme la création du double ou l’élaboration du désir 2.0. L’héroïne du dernier roman de Camille Laurens devient la dramaturge de sa propre histoire d’amour, dirigeant ses personnages, réels ou fictifs.
“Etre aimée, c’est devenir une héroïne“
Par la création de ce double inexistant, la narratrice, bourgeoise, divorcée et un peu névrosée, espère ré-exister dans une société qui condamne la femme, passée la quarantaine. Une dénonciation, un brin déprimante, qui persiste tout le long du roman. La création de cet avatar pousse le personnage jusqu’à la mythomanie voire la schizophrénie. Le double virtuel, promesse d’une cure de jouvence, mène l’héroïne seulement vers un dépérissement aussi bien physique que psychologique, puisque cette dernière se retrouve en hôpital psychiatrique.
Quant au désir 2.0, il est lui aussi toujours décevant : l’écran de l’ordinateur déguise en galanterie le machisme de Chris, l’homme convoité. La narratrice qui se cache derrière l’image d’une jeune fille charmante, dans l’air du temps, se prend à son propre jeu et tombe aussi amoureuse d’une image.
L’écriture théâtrale, l’écriture salvatrice
L’écriture ingénieuse se meut elle aussi, changeant de ton, d’expression, à chaque personnage de ce roman choral : à chaque chapitre, son personnage ou son mode d’expression (par oral, par écrit). Une écriture théâtrale, menée par la narratrice. A cette construction d’énonciation s’adjoint, la construction narrative, extrêmement complexe, gage de rebondissements jusqu’à la dernière page. Veillez à rester bien accroché, car parfois on s’y perd dans les personnages.
Le ton de cette professeure perdue, prédominant dans le roman, est intelligent. Le texte s’enrichit d’une intertextualité presque permanente: Laclos, Marivaux, et Duras sont convoqués. Flaubert et Céline s’invitent plus discrètement dans les pages. Ces pétales de références servent aux théories sur l’amour. Car Celle que vous croyez, n’est pas seulement une fiction, c’est aussi un essai sur le désir charnel.
“Je ne vis pas pour écrire, j’écris pour survivre à la vie”
En plus de ces réflexions sociologiques sur le désir et la difficulté pour une femme d’assumer son âge, le roman promet également une mise en abyme du travail de l’écriture. Autant, créer un double sur internet semble la dernière tentative d’existence pour l’héroïne, autant pour Camille Laurens, écrire est une façon de survivre.
Le livre de Camille Laurens se lit d’une traite. Il rappelle par l’intrigue, le dernier roman de Delphine de Vigan et par la construction, celle de Vernon Subutex de Virgine Despentes. Il se savoure par sa richesse analytique et par ce qu’un lecteur attend de la fiction: du rebondissement et de l’émotion.
- Celle que vous croyez, Camille Laurens, Gallimard, Janvier 2016, 192 pages, 17 euros 50.