Zone Critique part aujourd’hui à la rencontre de Clothilde Sourdeval, jeune artiste dont le travail prenant sa racine dans l’étude du corps humain, flirte constamment avec les limites floues de l’abstraction et de la figuration.
Zone Critique: Vos dessins partent d’une étude du corps et des organes, extrêmement rigoureuse et figurée pour aboutir à l’abstraction. N’est ce pas, de prime abord, une opposition irréconciliable ?
Clothilde Sourdeval: En effet, on pourrait croire qu’en partant d’une étude du corps, presque scientifique, pour aller vers une représentation abstraite on passe du purement figuratif au purement abstrait. L’opposition est alors radicale.
En réalité, ma volonté est de rester dans l’ambiguité. La subtilité réside dans le fait de ne pas être dans la description pure d’un corps, de ne pas reconnaître la source, sans forcément tomber dans une abstraction complète où tout repère serait perdu. Je cherche donc un « entre-deux », en quelque sorte aller au delà du corps pour y voir une chose autre, tout comme Heidegger dépasse le mot en laissant une ambiguité.
Cette ambiguité apparaît aussi dans la polyvalence du titre de mon livre mélangeant des textes choisis, cyanotype et sérigraphie, « L’entre-deux-dent ». Avec une double acceptation de l’entre, à la fois « entre » et « antre », on symbolise le rapport entre intérieur et extérieur.
ZC: Vous établissez un lien entre les mots et l’image au travers de votre livre L’entre-deux-dent : votre oeuvre est elle ardemment nourrie par la littérature ?
CS: Plus que des insertions de textes, la littérature tient une place importante dans ma démarche. La théorie est la pierre angulaire de tout mon travail qui se nourrit aussi bien de littérature que de sociologie ou d’anthropologie. Cependant, malgré la place prédominante de la théorie celle-ci reste une base de travail, qui ne doit pas être discernée immédiatement par le spectateur, tout comme ce dernier n’a pas vocation à voir dans l’oeuvre une représentation plus ou moins figurative du corps humain.
Le surréalisme et plus particulièrement les écrits de Sigmund Freud interviennent, avec le rêve, comme matière première de mon travail, car celui-ci aussi joue sur l’ambiguité entre les mots et les images, à travers une forme de jeu poétique. Cependant Georges Bataille reste la genèse de mon projet, et plus particulièrement son oeuvre d’auto-analyse érotique Histoire de l’Oeil : sa pensée était en effet guidée par une “expérience intérieure”.
ZC: Votre médium reste essentiellement le dessin, pourquoi ?
CS: Après avoir essayé la sculpture et la photographie, dont j’utilise toujours certains cadrages, le dessin m’a intéressé. Cependant, je n’exclus pas de revenir à la sculpture ultérieurement et la photographie reste un de mes supports d’inspiration, celle-ci permettant un rendu des plus réalistes.
Par ailleurs, le médium du dessin rappelle les planches anatomiques du XVIe et XVIIe siècle, comme celles de Léonard de Vinci qui relevaient plus de travaux artistiques que scientifiques, impliquant une certaine ambiguité et une certaine “opposition”, au même titre que celles qui lient abstraction et figuration.
- Le site internet de Clothilde Sourdeval