Sous le patronage de Dario Argento, Charlotte Colbert livre une méditation psychologisante sur la rébellion de femmes souillées par des prédateurs. Jonglant entre pamphlet féministe et exercice de style sagement exécuté, She willest un premier long-métrage à combustion lente.
Rien de bien neuf sous le timide soleil hivernal des Highlands, en Écosse. Veronica Ghent (interprétée par une comédienne de tradition shakespearienne, Alice Krige) vient de subir une mastectomie et quitte le tumulte de sa vie de vedette sur le déclin pour trouver le repos dans une retraite spirituelle, accompagnée dans sa convalescence par une troublante infirmière (Kota Eberhardt). C’est l’occasion pour les deux femmes de remonter aux origines de leurs traumatismes les plus profonds et de leurs humiliations les plus vives. Leur quête est motivée par un désir de vengeance, qui anima autrefois les sorcières brûlées vives pour avoir voulu punir leurs bourreaux.
Du rififi chez les sorcières ?
Écrasé sous le poids d’innombrables références cinématographiques, le film de Charlotte Colbert frappe d’abord par son intrigue ultra classique : au bord du cauchemar, une femme blessée gagne des terres hostiles et reculées pour panser ses blessures, entraînant dans son délire, une ingénue. D’ailleurs, une ligne de dialogue prononcée par la protagoniste souligne ironiquement le caractère convenu de l’intrigue (« On se croirait dans un film d’horreur avec une vieille sorcière inquiétante et une jeune fille innocente »). Le film pèche par excès de révérence aux modèles visuels qui l’ont inspiré. Il ne cesse de convoquer l’esprit des maîtres du genre comme pour trouver en vain sa place.
En mêlant le duo féminin très proche de Bergman (Persona, 1966), l’imaginaire de la forêt avec sapins décharnés et renard perdu que l’on trouve chez Lars Von Trier (Antichrist, 2009) ainsi que quelques relents du dernier Billy Wilder (Fedora, 1978) avec une actrice qui se farde pour conjurer la malédiction du vieillissement, et des clins d’œil appuyés à Argento évidemment, Colbert semble clamer haut et fort son désir d’appartenance. Elle invite le spectateur à jouer au jeu rébarbatif des sept ressemblances.
Cette histoire de femme meurtrie réduit un propos politique concernant la violence d’un système patriarcal sur une histoire très prévisible de revanche individuelle. Le point aveugle est donc un trauma dont on ne réchappe jamais et qui nous définit pour une vie entière. On ne s’en émancipe que par un meurtre. Le crime passé appelle le crime futur, c’est là sa seule voie de réparation. Les hommes sont des prédateurs qui traquent leurs victimes dans des forêts sombres, en proie à une irrésistible pulsion de destruction : l’idée donne lieu à une scène de tentative de viol particulièrement pénible… Ces mêmes hommes, incarnés par un Rupert Everett en coach de vie grotesque qui débite des âneries sur la non-transparence du regard chez Foucault ou par un Malcolm McDowell, censé rappeler la proximité du sujet avec celui que traite Kubrick dans Orange Mécanique, sous-estiment cependant la force subversive des femmes qui s’allient en secret contre une masculinité malade.
La parade sauvage
Un méli-mélo bavard de symboles tient lieu de tonalité fantastique
Limpide dans ses intentions, Colbert perd le fil des métaphores qu’elle élabore et qui semblent s’annuler les unes les autres. Un méli-mélo bavard de symboles tient lieu de tonalité fantastique. Ainsi, la sororité trouve sa source dans un pouvoir tellurique de nature mystique dont les femmes blessées prennent peu à peu conscience, se transformant ainsi en sorcières vengeresses. Aux mystères organiques s’ajoutent alors d’autres images frappantes mais inintelligibles : une épaisse boue noire qui contamine la forêt et glougloute lorsqu’un crime est sur le point d’être commis – Jonathan Glazer y avait déjà pensé, sous une forme autrement plus suggestive dans Under the skin – des limaces qui mêlent leurs filets de bave (une image sexuelle, soit…), des poussières d’étoiles, des bûchers ardents… Non seulement Colbert fait le choix d’une iconographie surannée avec chalet perdu au milieu des bois, crépitement d’un feu de cheminée, brume épaisse, cheveux roux et longues robes de chambre qui recouvrent des silhouettes chétives, mais elle a également recours à des effets visuels banals. La crise de panique de Veronica est montrée par une prise de vue anamorphique et des plans subjectifs, tandis que de lourds travellings avant viennent désigner les coupables que sont les hommes. Enfin, on entre l’épaisse forêt au gré de plans aériens en suivant le cheminement d’une voiture…
La faiblesse de la mise en scène s’explique aussi par une paresseuse caractérisation des personnages féminins. La jeune infirmière à l’androgynie troublante semble n’être qu’une version cheap de Zoë Kravitz tandis que le personnage de Veronica ne suscite pas la moindre inquiétude. Leur relation, qu’on aurait pu espérer vaguement érotique, ne relève pas non plus d’une emprise. Le lien qui les unit, posé comme une évidence dès le début du film, paraît artificiel. Que diable viendrait faire une jeune femme au fin fond de la campagne écossaise, pour une durée indéterminée, aux côtés d’une vieille pie désagréable ? De sororité, il ne sera jamais question pour de vrai. De sorcières, il ne sera rien montré de plus que quelques rites ancestraux. La journaliste Mona Chollet avait déjà mené le travail de réhabilitation de ces figures dans son livre à succès mais visiblement il faut encore rappeler qu’elles sont des espèces de bienfaitrices qui ont servi de bouc-émissaires. Comme si l’on ne s’était pas encore remis du procès des sorcières de Salem.
Une question reste ouverte : comment faut-il comprendre le titre engageant de ce film qu’on aurait voulu prometteur ? Derrière le « she will » intransitif se cache peut-être l’expression d’une volonté de puissance, sans objet et sans finalité. Une pure volonté enfin libérée de la nécessité d’une vengeance.
She Will, un film de Charlotte Colbert, avec Alice Krige et Kota Eberhardt, en salles le 30 novembre.