« Elle venait d’un pays approximatif d’Amérique du Sud où le vent couche les montagnes et nourrit les fous » (Première page de L‘ouragan). Le tonitruant L’ouragan est réédité ce mois-ci en Pocket. Nous avions rencontré Daniel Martinange a l’occasion de la parution de son roman chez Stéphane Millon en 2012. Entretien avec un écrivain éclectique:
Comment décriveriez-vous votre roman L’Ouragan pour les lecteurs de Zone Critique ?
L’histoire d’un homme ordinaire, quinquagénaire modeste, solitaire et inculte, recroquevillé dans la monotonie de son existence, à qui la rencontre avec une femme sauvage, fantasque, belle, ténébreuse, venue de nulle part, ouvrira les portes d’une vie pleine et aventureuse. Il y aura d’autres rencontres, ici et sur d’autres continents, avec des êtres en recherche d’eux-mêmes, ou qui se sont trouvés. Mais la rencontre essentielle est probablement le face-à-face de chaque individu avec lui-même, dans les grands espaces, géographiques ou du cœur.
Votre plume est vive et colorée : quelles sont vos influences artistiques ?
Dans la littérature, le cinéma, la chanson, la musique, les arts plastiques, la BD, etc…, j’ai une prédilection certaine pour l’explosion de la vie et des sentiments. Je suis incapable de vous dire quels sont les écrivains qui m’ont le plus influencé. J’ai eu des chocs. Par exemple avec JMG Le Clézio, et surtout Désert et l’extraordinaire Ourania. Avec Kafka sur le rivage, d’Haruki Murakami. Avec Arto Paasilinna. Ou Garcia Marquez, surtout L’Incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique, et Les funérailles de la Grande Mémée. Il y a Les fainéants dans la vallée fertile, ou Mendiants et orgueilleux, d’Albert Cossery. Il y a Jim Harrison, notamment Dalva et Les jeux de la nuit. Et bien sûr L’Etranger, d’Albert Camus. En règle générale, je suis très marqué par tout texte qui me donne le sentiment de toucher soudain à ce qui fait de chaque seconde de notre vie quelque chose de formidable, d’irremplaçable, et, d’ailleurs, d’intransmissible aux autres. Et ce à partir du postulat suivant : notre histoire individuelle se terminera mal, nous mourrons tous un jour, c’est la plus abominable des injustices. J’ai toujours en tête cette phrase d’André Breton : « Je cherche l’or du temps. »
J’ai toujours en tête cette phrase d’André Breton : « Je cherche l’or du temps. »
Votre écriture a quelque chose, dans son rythme et son pouvoir d’évocation, de cinématographique : le cinéma joue-t-il un rôle important pour vous ?
Quand j’écris, pour que j’écrive quelque chose de potable (si j’y arrive…), je dois absolument VOIR la scène, ou les scènes suivantes. Si je travaille sur un roman, ou une nouvelle, c’est en réalité un film qui se déroule sous mes yeux, et que je dois décrire. Certains films, par contre, lorsque je les regarde, ce n’est pour moi rien d’autres que de la littérature crachée par une caméra.
Que représente exactement la couverture du roman ?
Quelques images du texte. Le chemin est celui qui mène au siège du ranch de William, l’Indien Navajo. La bâtisse rouge : un bâtiment agricole. Le zébu sur le toit, ben voyons… La plume, référence, plus que symbolique, aux Peaux-Rouges. La silhouette féminine noire, celle de Bahia la ténébreuse. Les crêtes découpées du haut : les monts Absaroka, dans l’Etat américain du Wyoming. L’avion : le franchissement de l’Atlantique.
Le roman a-t-il été écrit dans l’urgence comme son style lapidaire et saccadé semble le suggérer ?
Non, pas du tout. J’écris comme cela. C’est ma manière personnelle de dire : attention, on n’a pas de temps à perdre, chaque seconde compte, allons à l’essentiel. C’est du moins ma façon de voir les choses.
Que faites-vous dans la vie ?
J’ai été employé de banque à partir de l’âge de 18 ans. J’ai ensuite vécu de droits d’auteur, de mes économies, et de travaux de lecture et de nègre pour des maisons d’édition. J’ai été ensuite obligé de retrouver à plein temps un travail salarié : journaliste professionnel, pendant quinze ans. Aujourd’hui, je me consacre uniquement à l’écriture, comme on dit.
J’ai pu lire que vous avez publié quelques nouvelles ainsi qu’un recueil de poèmes auparavant. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long ?
Chercheurs du monde entier, concentrez-vous sur ce qu’on appelle le temps. Et dîtes-nous enfin la vérité !
J’ai publié d’autres romans, sous d’autres pseudonymes, des trucs vraiment alimentaires. Et, sous mon vrai patronyme, un recueil de poèmes chez Guy Chambelland (disparu), qui eut en son temps un prix de l’Académie Française. Par contre, sous le pseudonyme de Daniel Martinange, voilà très longtemps, dans une autre vie, j’ai publié une trentaine de nouvelles dites de science-fiction, dans des recueils collectifs, chez Denoël, J’Ai Lu, entre autres éditeurs, dans la revue Fiction, aujourd’hui disparue (voyez : tout est appelé à disparaître…), des magazines comme Charlie Mensuel, etc, etc. Il y a quelques mois, j’ai fait la connaissance d’un libraire parisien qui m’a laissé sur le cul. Il se souvenait parfaitement des deux nouvelles que j’ai publié chez J’Ai Lu, il y a… 35 ans. J’ai brusquement pris conscience que cela faisait 35 ANS ! J’ai aujourd’hui une certitude : le temps n’existe pas. Ce n’est rien d’autre qu’une invention de notre pauvre petit cerveau humain. C’est-à-dire de singe amélioré. Nous ne sommes, je ne suis, rien d’autre qu’un singe amélioré. Et ça c’est sûr : le temps n’existe pas. C’est pure invention. Je viens de lire une interview de Johnny Halliday. Ça le faisait marrer de penser qu’il allait avoir 70 ans. À l’état-civil. Lui, il disait que dans sa tête il avait toujours 20 ans. Il a raison. Quand vous voyez Johnny, si on vous dit qu’il a dit 70 ans, vous vous marrez, non ? C’est une connerie. Le temps n’existe pas. C’est une connerie. Chercheurs, scientifiques du monde entier, s’il-vous-plaît, concentrez-vous sur ce qu’on appelle le temps. Et dîtes-nous enfin la vérité ! Ce que tout citoyen réclame, d’ailleurs… Vous le savez bien, vous, que le temps n’existe pas !
- L’ouragan, Daniel Martinange, Pocket, mars 2014