Avec Des enfants uniques, Gabrielle de Tournemire livre un premier roman sensible et bouleversant, et nous plonge dans l’histoire d’un amour périlleux. D’une écriture fine et dénuée de tout pathos, la jeune écrivaine décrit les aléas d’une relation que tout semble empêcher : celle d’Hector et Luz, deux personnes handicapés au coeur d’un monde d’accompagnants, de parents inquiets et d’obstacles sans fin. Des enfants uniques n’est pas un roman sur le handicap, ou du moins pas seulement : c’est un roman sur les voies sinueuses que l’amour trouve quand il est pur. Entretien.
N.K.M. : Bonjour Gabrielle, je suis ravi de vous recevoir à l’occasion de votre première publication. D’abord, pourriez-vous nous expliquer comment vous est venue l’idée de ce roman ? Pourquoi avez-vous choisi d’écrire sur le handicap, et plus particulièrement sur l’amour entre personnes handicapées ?
G.D.T. : Bonjour Nicolas, et merci de me recevoir. L’idée d’écrire ce roman est née d’une expérience personnelle. J’ai passé un an en service civique dans un foyer d’hébergement pour adultes en situation de handicap mental, qui s’appelait La Ruche. Ma mission consistait à partager avec eux une véritable vie de colocation : cuisiner ensemble, prendre soin les uns des autres, regarder des films… L’essentiel était de construire un lien d’amitié.
Vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec des personnes qu’on n’a pas l’habitude de côtoyer, c’est une expérience d’une brutalité et d’une douceur inouïes. On se confronte pleinement, radicalement, à l’altérité et à la différence. C’est à ce moment là que j’ai remarqué ce qui leur importait avant tout : leur vie affective. Les relations amoureuses, les petits « crushs », les péripéties sentimentales revenaient sans cesse dans leurs préoccupations.
Or, j’ai constaté que la prise en charge institutionnelle de cette dimension restait très timide, et le dialogue entre familles et éducateurs était parfois tendu face à cette question. Devant cet impensé, j’ai ressenti le besoin de combler un manque : il n’y avait aucun exemple, aucune représentation, de couples handicapés. Et surtout, la question de l’engagement et de la durabilité dans ces couples était éludée. On a tendance à considérer ces amours comme mineures, infantilisées, alors qu’elles méritent une pleine reconnaissance.
Mettre en lumière cette réalité est devenu la ligne conductrice de mon roman : interroger la possibilité, malgré le handicap, qu’un couple se forme et s’engage dans la durée.
N.K.M.: Une question sur le titre ; à première vue, Des enfants uniques pourrait aussi bien désigner des enfants sans frère ni sœur que des enfants handicapés. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
G.D.T. : Le titre est en réalité un choix de mon éditrice. Elle voulait à la fois souligner la dimension familiale qui traverse le roman – la confrontation entre deux modèles de prise en charge – et rappeler la question de l’infantilisation permanente. Ce titre déjoue aussi les attentes, il peut toucher un public plus large. Les deux personnages principaux, Hector et Luz, sont eux-mêmes enfants uniques : c’était un moyen d’interroger la singularité, et ce que signifie être « unique ». Cela renvoie aussi à la lenteur et à la difficulté du passage à l’âge adulte, notamment pour Hector, dont les parents peinent à accepter l’émancipation. Mon premier choix de titre, Et nos rêves imparfaits, inspiré d’une chanson d’Indochine, insistait plutôt sur l’idée de rêves modestes, à hauteur humaine.
N.K.M. : Trouvez-vous que le handicap est encore trop peu représenté en littérature et dans les arts ?
G.D.T. : Je crois que la représentation du handicap a beaucoup évolué ces dernières années. Il existe de très beaux romans, comme celui de Clara Dupont-Monod sur une fratrie, il y a eu le film Hors Normes, qui posait la question des structur...