Originaire de Bretagne, Manon Fantou est avocate. Elle se fonde sur sa propre expérience pour son deuxième roman Prends garde à toi, récit poignant d’une adolescente qui accouche d’un bébé mort-né. L’autrice revient sur l’importance de délier les langues sur un sujet tabou, grâce à une écriture au plus proche du réel, sans avoir peur de choquer.

Si on devait mettre Prends garde à toi dans une case, ce serait celle de «l’autofiction ». La question est inévitable : quelle part de votre propre vécu avez-vous injecté dans l’histoire de votre personnage ?

Manon Fantou : Ce roman s’inspire d’une expérience personnelle que j’ai vécue il y a une dizaine d’années, et que j’ai cachée pendant longtemps. Elle me gênait profondément. Je n’en parlais pas, surtout aux hommes qui me plaisaient : comment leur expliquer que j’avais déjà été enceinte dans ma vie et que je l’avais appris trop tardivement pour avorter ? Je me disais qu’il faudrait ensuite presque les rassurer en disant « ne t’en fais pas, je n’ai pas d’enfant quelque part, j’ai “juste” fait une fausse couche à cinq mois ». D’ailleurs, à ce stade, il ne s’agit pas d’une fausse couche, il s’agit d’une mort fœtale in utero. Je suis contente d’être passée d’un secret à l’écriture.

On se doute que le sujet de la fausse couche est ce qui a motivé en premier lieu l’écriture, pourtant le roman est loin de s’y réduire, témoignage authentique des joies et des peines d’une étudiante à Paris dans les années 2000. Est-ce un choix initial ou ce décentrement s’est-il imposé au fil de l’écriture ?

MF : C’est un choix initial car Marie est une jeune femme qui vit à fond, très librement. Elle profite de sa vie d’étudiante, elle fait la fête, s’amuse, couche à gauche à droite. Elle ne se réduit pas à sa grossesse : elle traverse celle-ci comme une étudiante qui a envie de tout sauf de maternité. C’est pour cela que la question amoureuse occupe une place importante dans le livre : la volonté de Marie de plaire à tout prix, d’être en couple avec untel ou untel. C’est un roman d’émancipation sur ce point puisqu’elle va se libérer de cette question.

Votre roman évite donc judicieusement de se réduire à un manifeste, bien qu’il aborde un sujet épineux. Tout de même, avez-vous voulu exposer ou alerter, d’une quelconque manière ? Ou vos motivations ont-elles d’abord été plus intimes ?

MF : Cela ne me dérangerait pas du tout que mon roman se rapproche d’un manifeste. J’ai cherché à alerter. Mon personnage de Marie est une jeune femme drôle, instruite, consciente de ce qui l’entoure, aimée de ses proches. Elle est partie pour mener la vie qu’elle veut et un jour elle apprend qu’elle est enceinte d’un garçon qu’elle n’aime pas et il est trop tard pour avorter. Elle se retrouve coincée dans son corps, piégée dans une relation qui est de plus en plus dure à supporter. Puis elle apprend que le fœtus est mort. Elle est hospitalisée et doit accoucher d’un bébé mort-né. J’ai voulu montrer qu’aujourd’hui encore, même pour une jeune femme qui pense avoir toutes les cartes en mains, le monde peut être impitoyable. C’est ce que j’ai voulu illustrer, du point de vue de Marie.

Alors que fausse couche rime ...