Depuis 10 ans maintenant, le Théâtre Paris Villette soutient l’émergence dans le spectacle vivant avec le Festival SPOT. Cette année, du 12 au 29 septembre 2023, 6 équipes ont été invitées pour présenter leurs créations autour du thème : “Fugues majeures”.
C’est donc dans ce cadre que Zone Critique a pu découvrir la pièce d’Hugues Jourdain : Dernier amour.

Trois ami.e.s : Charlie, Hugues et Salomé, ne pouvant se remettre d’un chagrin d’amour, décident de quitter la Terre. Une fois dans l’espace, accompagné.e.s de Roxanne, le robot du vaisseau, il.elle.s décident de jouer une dernière pièce de théâtre : la plus triste du monde.

Voyage dans l’intime

L’expérience de la pièce se complète lorsque l’on s’autorise à renouer avec notre intime, nos souvenirs et bien évidemment notre imaginaire.

Bien que le pitch nous évoque immanquablement des Blockbusters comme Interstellar ou Gravity, nous sommes en réalité très loin des effets spéciaux, discours grandiloquents et explosions en tout genre. Le spectacle suit la ligne directrice de la simplicité, aussi bien en termes de décors, d’accessoires, de costumes ou de jeu. La question posée est elle-même aussi très simple : comment vivre l’échec amoureux ? Durant 1h30, les comédien.ne.s n’essayeront pas forcément d’y répondre, mais plutôt de partager l’universalité des sentiments qui en découlent avec le public. Il.elle.s s’adresseront, face public, sans qu’on puisse trop distinguer ce qui tient du personnage et du vrai, de la fiction et de la réalité.

La forme est extrêmement consciente de ce qui se joue, de ses codes, de ses conventions, de ses spectateurs. Dès le départ, par un tour de passe passe capillotracté, aux saveurs d’un épisode de Doctor Who, les acteur.ice.s nous informent qu’il.elle.s vont jouer cette dernière représentation devant nous, depuis leur navette spatiale, mais qu’en raison d’un décalage spatio-temporel, il est inutile pour nous public, d’applaudir, de répondre ou de rire, car le son ne leur parviendra qu’une heure après ce qui pourrait perturber le bon déroulement de la représentation. La consigne, délibérément absurde nous responsabilise, nous aussi spectateur.ice.s avons notre rôle à jouer. Evidemment, et à beaucoup d’endroit du spectacle, il ne s’agit pas de prendre cela au pied de la lettre. C’est plutôt une demande au réel, de bien vouloir s’inviter dans la fiction. C’est un “voyage immobile” qui nous est proposé avec beaucoup de soin et de délicatesse.

L’expérience de la pièce se complète lorsque l’on s’autorise à renouer avec notre intime, nos souvenirs et bien évidemment notre imaginaire. Le spectacle ne déborde pas d’enjeux : le risque de la collision contre des astéroïdes ou autres drames galactiques reste très mesuré, les personnages ne semblent pas vivre au présent mais semblent immergés dans leur passé et la destination du vaisseau elle même n’est pas une sujet. Cela permet au spectateur, de s’autoriser par moment à vaquer dans ses propres pensées et à compléter les vides.

© Christophe Raynaud de Lage

Le monde à l’envers

On part de la fin pour voir où nous en sommes.

L’originalité du spectacle tient particulièrement dans les contrastes et les points de friction qu’il génère. Si déjà, il s’agit de partir en voyage dans l’espace pour se retrouver soi-même, l’ensemble des thèmes abordés sont comme eux-même en orbite et se voient retournés dans tous les sens.
Les acteur.ice.s le formulent notamment avec une scène de Stand-up inversé où Salomé (interprétée par Salomé Diénis-Meulien) micro à la main, évoque des sujets très sombres, parle très lentement avec un jeu très flegmatique, qui caractérise assez bien le jeu de l’ensemble des  personnages – romantiques, épris de spleen adolescent. Finalement, bien que tous les codes du Stand-up soient inversés, nous rions tout de même. Le spectacle en énonçant la tristesse, ne fera paradoxalement que provoquer le rire. Un rire de surprise, de soulagement ou d’empathie. Un rire aussi parce que nous n’avons pas tellement d’autres clés de lecture des histoires amoureuses que des histoires qui se finissent bien, ou mal mais qui ont existé le temps d’une passion. Or ici, on écrit l’histoire, qu’il n’y a pas eue.

Aucune solution ne semble être valable, les personnages enlacent le fatalisme avec beaucoup d’appétence. Il.elle.s ne s’intéressent finalement qu’au passé et aux regrets qui conduisent à un futur et à la fin des temps, la fin du spectacle, la fin de leur monde, la fin des fins. Ce goût de la fin, Charlie (interprété par Charlie Fabert ), l’exprimera dans un monologue fleuve – soutenu par les musiques assez hypnotiques de Samuel Hecker – où il ne scandera que la fin d’une cinquantaine de films. Plutôt que de s’indigner d’avoir été spoilé.e.s de la sorte sans nous prévenir, on se surprend à retenir les fins des films qu’on connaissait déjà, et à se rappeler dans quel contexte on les avait vues. Ce qui fait jaillir un mélange sucré salé, doux amer, de souvenirs, de réminiscence, de sensations…On part de la fin pour voir où nous en sommes.

© Christophe Raynaud de Lage


Dernier amour
est une pièce en orbite où se réinventent, se rejouent et se repensent les codes du théâtre. C’est un voyage immobile vers l’intime, où nous sommes, collectivement et avec beaucoup de douceur, invité.e.s à rire de nos peines et à rêver ensemble.

  •  Dernier amour – en tournée au théâtre de Vanves – 17 et 18 octobre 2023
© Christophe Raynaud de Lage

Crédit photo : © Christophe Raynaud de Lage