Aussi fantaisiste qu’intellectuel, Le Futur futur d’Adam Thirlwell fait de chaque moment des moments très denses car « il(s) contien(nent) tout », passé, présent et futur, chaque temporalité fusionnant l’une avec l’autre dans une harmonie joueuse.
Ana-, u-, achronique
Le Futur futur n’est sans doute pas anachronique, pas même uchronique, mais plutôt achronique, livre hors du temps qui pourtant représente le temps lui-même, temps qui s’avale et s’enroule, se déploie et se condense. L’Ancien Empire qui se dessine en toile de fond est dangereux, fourmillant d’idées et de mots censurés par la sévère mais légère Antoinette. Des détails attrapent l’œil – on lit de la science-fiction, on mange des éclairs, on se sert de tuyaux d’arrosage et on mange au restaurant, on croise des personnes qui ont une « renommée beatnik en raison de (leur) attitude non-genrée », on porte des tenues « haute couture en toile de jean » – et gomment le ton parfois sentencieux qui est celui du Futur futur. Le sérieux des sujets abordés est ainsi contredit par des phrases irrévérencieuses, des métaphores sensuelles ou anachroniques – bien sûr – où le plastique a toute sa place, des hyperboles régulières rythmées par des « hyper » et des « super » qui rappellent le discours des jeunes d’il y a vingt ans. C’est là l’occasion de saluer le traducteur, Nicolas Richard, dont le travail d’orfèvre rend toute la fantaisie malicieuse de ce livre qui est avant tout une déclaration d’amour à la langue.
Les femmes, ici, là-bas, maintenant, hier
Le fond répond d’ailleurs à la forme, lui permettant de spiraler et de jouer avec la temporalité à loisir. Céline, l’héroïne, est visée par des pamphlets pornographiques anonymes dès les premières pages, lesquels atteignent sa réputation et sa crédibilité, mais la propulsent aussi dans un autre monde, fait de lettres et d’auteurs plus ou moins notables – ils sont adoubés puis décriés, déchus puis réhabilités année après année. Au règne d’Antoinette sur les arts succède une période noire dont Adam Thirlwell se garde bien de prononcer le nom, mais qu’il imprègne de terreur, mot répété à plusieurs reprises pour qualifier ce moment sombre de l’Histoire française auquel l’auteur britannique s’intéresse ici. De l’autre côté de l’Atlantique, Washington négocie avec les Amérindiens, n’y parvient pas vraiment, se perd dans les circonvolutions de son interprète, lui-même perdu et contrarié par les langues de bois de ses clients. Quant à Toussaint Louverture, il bataille pour la libération des esclaves en Hispaniola et s’amuse des Anglais et des Français. Puis, retour en France, où c’est Napoléon qui débarque, petit « dictateur » aigri et prêt à coloniser le monde, son discours et sa propagande n’étant pas sans rappeler le Big Brother de Georg...