Jusqu’au 31 août prochain, Le Lucernaire met à l’honneur Louis Guilloux : Gilles Kneusé met en scène et interprète Coco perdu, l’un des derniers écrits de l’auteur. Bouleversant.
C’est l’histoire d’une femme, « Fafa », qui, un beau jour, décide de quitter (mais pour combien de temps ?) et sa ville et son mari, et comme cela, comme on se lève un matin pour aller travailler, comme si de rien n’était, dépose une lettre à la poste et s’en va prendre un train pour Paris.
Coco perdu retrace le fil des deux jours qui vont suivre ce mystérieux départ, et que le narrateur, coco donc, mari de la femme désormais absente, va travailler à combler, dans cette petite ville où il habite, comme si rien n’avait eu lieu, comme s’il n’était pas tourmenté par le contenu de cette fameuse lettre, comme s’il n’attendait pas chaque seconde qui passe un coup de téléphone de la femme qu’il aime et qui s’en est allée.
Le sang noir
Coco perdu ne figure pas parmi les œuvres les plus connues de son auteur, né en 1899 et décédé en 1980, qui manqua de peux le Goncourt en 1935 pour Le Sang noir, considéré par Gaston Gallimard comme « l’un des meilleurs livres que la maison ait jamais publiés ».
Cet « autre voyage au bout de la nuit », dont l’intrigue se ramasse en une seule journée de 1917 (mutineries en France, révolution en Russie) dans une petite ville de province, « ne met pas seulement la bourgeoisie en cause. Il remet toute la vie en question. », selon les propres mots de son auteur.
Proche d’Albert Camus, Louis Guilloux accompagnera, à la suite de la parution du Sang noir, André Gide en U.R.S.S. lors de son célèbre voyage, sur lequel il restera muet.
Et c’est plus de 40 ans après la publication de son emblématique roman (entre temps, le volumineux Le jeu de patience obtiendra notamment en 1949 le prix Renaudot), et deux ans avant son décès, que Louis Guilloux publie Coco Perdu.
Rencontres insolites
Il ne se passe pas à proprement parler grand-chose dans ce roman. Coco nous raconte son quotidien à grand renfort de monologues, soliloque dans les rues de sa petite ville du matin au couchant, s’en va déjeuner au restaurant, s’amuse d’un représentant de commerce, rencontre un commandant de la Libération…
Seulement, jaillit parfois, au milieu de cette traversée du quotidien qu’on pourrait à première vue considérer comme simplement poétique et contemplative, une remarque un peu étrange, une intonation qui sonne un peu faux, et qui soudain révèle dans toute sa nudité la solitude de ce personnage de rien, qui progressivement prend conscience de la réalité du départ de sa femme.
Alors, pour quelques secondes seulement, dans l’effroi suscité par l’expérience d’une première nuit passée seul, à travers l’étonnement causé par l’absence de courrier, et surtout dans l’énergie feinte déployé par Coco en paroles et en actes absurdes (« Déjà l’heure du dîner, comme le temps passe !», se lance-t-il à lui-même, alors que le point culminant de sa journée fut précisément son déjeuner), se brise soudain la coque en plastique du bonheur quotidien, et se fait jour le désarroi du narrateur.
La traversée du quotidien
Coco n’est donc rien d’autres qu’un vieux monsieur un peu naïf qui se ment à lui-même, qu’un petit garçon un peu fragile qui se refuse à ouvrir les yeux sur la réalité.
Et c’est précisément cette naïveté, cette innocence du regard qui, si elle est le moteur dramatique du récit en ce qu’elle pousse Coco à refuser d’accepter sa propre situation, empêche également ce même récit de devenir trop pesant et rébarbatif: et comme un enfant, Coco sait aussi déceler, et nous montrer dans le mouvement des choses du quotidien, l’apparition soudaine du merveilleux, de la poésie, et de la grâce.
Un mendiant qui lui touche le front après que Coco lui ait donné une pièce et l’ait appelé « mon frère » une nuit dans une rue déserte, un beau marin qui débarque dans le restaurant où Coco déjeune, ainsi qu’une apparition, et qui fait soudain se pâmer les deux serveuses…
Coco perdu est un roman bouleversant, où affleure en un parfait équilibre, et à travers un verbe simple et juste, et la grâce mystérieuse des apparitions du quotidien, et la solitude d’une vie que le drame soudain bouleverse.
« On s’arrange toujours avec la mort, jamais avec la vie. Avec la vie, on discute. »
Et face à ce drame, Coco n’a guère d’autres remèdes que de se soutenir à l’aide des quelques adages populaires qu’il se répète à longueur de journées, au travers desquels Louis Guilloux nous parle avec humilité et humanité de la vie, et du combat ordinaire:
« On s’arrange toujours avec la mort, jamais avec la vie. Avec la vie, on discute. »
- Coco Perdu, d’après le roman de Louis Guilloux, adaptation de Gilles Kneusé, mise en scène de Thierry Lavat et Gilles Kneusé, avec Gilles Kneusé.
- Théâtre du Lucernaire, 1 heures 10 minutes. Du mardi au samedi à 21 h jusqu’au 31 août.