Norman Jangot a publié l’un des romans les plus originaux de ce début d’année. L’Œuvre du serpent est un polar d’anticipation où un détective plonge dans une enquête vertigineuse qui le conduit au bord de la folie. À la fois, récit de vengeance et roman dystopique, ce livre nous invite à plonger dans un monde aussi fascinant qu’inquiétant.
L’Œuvre du serpent est un polar d’anticipation qui se situe dans un Paris dystopique, ravagé par une catastrophe. Pourquoi avoir choisi d’inscrire votre intrigue dans ce monde, au bord de la rupture, ou plus précisément, en phase de reconstruction ?
La dystopie, c’est avant tout un bac à sable qui permet de créer des histoires et des situations qu’on ne peut pas vivre dans le réel. Je me suis beaucoup intéressé à la collapsologie et aux théories de l’effondrement. Pendant une période, ça m’a fait peur de me dire que notre monde était en train de courir à sa perte. Mais petit à petit, je me suis dit qu’une fin, c’était forcément le début de quelque chose. Et c’est pour ça que dans mon livre, Paris est détruit, mais tout est aussi en train de se reconstruire.
Ce qui se passe dans L’Œuvre du serpent, c’est une reconstruction par le bas, par le peuple et par l’art. Dans le Paris que je présente, on trouve des graffitis sur les murs, des bâtiments désaffectés, et d’autres qui sont en cours de reconstruction. Le métro s’est effondré, la ville s’est affaissée. Pourtant, peu à peu, de nouvelles formes de vie émergent. J’ai beaucoup aimé détruire Paris. J’aime le détérioré, l’esthétique des ruines et de l’effondrement. Je me retrouve tout à fait dans le Paris que je mets en scène.
La dimension sociale de ce Paris en construction est aussi importante. Dans ton roman, on trouve une forme de paradoxe : l’ordre peine à s’établir dans ce monde mais en même temps il est presque plus égalitaire que le nôtre.
Oui. Mon livre s’articule autour d’une théorie de l’ordre et le chaos. Je voulais donner un petit coup de pied dans la fourmilière, et voir ce que cela pouvait donner de reconstruire une société tout entière à partir de nouvelles bases, de nouveaux axiomes. Dans L’Œuvre du serpent, les sectes prolifèrent et traduisent ce besoin de croire ou de quête de sens qui hante tous les habitants de ce monde nouveau. J’ai voulu imaginer une société où les fondations étaient déstabilisées. Il ne s’agissait pas de mettre en scène un univers en complète déréliction à la Mad Max mais plutôt penser l’émergence de nouveaux modèles et de nouvelles formes, tantôt désirables, tantôt repoussantes.
On est à la croisée du roman-policier et de la science-fiction. Ton roman explore aussi et surtout des enjeux littéraires et philosophiques avec la figure de Jung et son concept de synchronicité. Pourquoi cette idée est importante pour toi ?
Ce qui m’a plu surtout dans ce concept, c’était de l’utiliser pour en faire une mécanique de narration originale. Je connaissais déjà les synchronicités, c’est-à-dire des coïncidences signifiantes où deux événements ne sont pas liés par une association causale mais par le sens qu’on y accorde. C’est quelque chose qu’on a tous expérimenté au moins une fois. On pense à un ami qu’on a pas revu depuis des années, et tout à coup, il surgit au coin de la rue. Jung a poussé ce concept très loin et en fait l’une des pierres angulaires de son système de pensées. Pourtant, à titre personnel, je n’y crois pas et j’ai du mal à y accorder une grande importance. En revanche, j’adore le faire dans des romans car je trouve que c’est l...