Pour le Festival d’Avignon, le gymnase du lycée Mistral d’Avignon se transforme en scène de théâtre et accueille l’étonnante proposition de Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola : Flesh. Un spectacle sans parole riche en émotion où le corps meurtri, tailladé, virtuel, poussiéreux est mis à l’honneur dans une performance drôle et terrifiante.
Un format court et incisif
Flesh est une pièce courte. Quatre petites saynètes indépendantes, d’environ vingt minutes, se succèdent pour former un tout. L’argument de la durée pourrait sembler anecdotique s’il ne révélait pas quelque chose d’essentiel qui caractérise le travail de Sophie Linsmaux et d’Aurelio Mergola : une volonté de toucher à vif le cœur/corps des spectateurs présents dans cette salle improvisée à l’occasion du Festival. Le pari est réussi dès le début du spectacle avec cette première saynète (And Yet) qui met en scène un fils venu veiller son père sur le point de mourir. Un énorme coup de poing en contexte de pandémie qui émeut aux larmes tant la situation paraît tristement réaliste. Il s’agit d’une expérience vécue par beaucoup d’entre nous, celle de la perte d’un proche et, dans le contexte actuel, de toutes les précautions sanitaires qui s’appliquent pour les familles venues veiller le corps mourant d’un père, d’une mère… Toute la beauté de cette pièce réside dans sa capacité à jouer subtilement avec les genres. La scène d’ouverture est particulièrement drôle puisqu’elle met en scène ce pauvre jeune homme soumis à l’application d’un protocole strict s’il veut pouvoir accéder à la chambre de son père : masque, gel hydroalcoolique, gants, encore gel hydroalcoolique, tenue chirurgicale, toujours gel hydroalcoolique… Seulement, le ton change rapidement et prend une dimension tragique, terrible. Le format court permet cela en créant des images qui restent (et resteront) bien après la fin du spectacle.
L’inaltérable besoin du corps : l’étreinte comme fil rouge
Un thème structure l’ensemble des saynètes : le besoin de prendre l’autre corps dans ses bras, de ressentir le contact de la chair.
Le corps est l’élément central de ce spectacle sans parole. Grâce au jeu parfaitement exécuté des comédiens, le spectateur crée les dialogues et imagine, à partir de ses propres expériences, les mots qui auraient pu être dits. C’est donc en lui que se joue la(les) pièce(s) et il est libre d’en faire ce que bon lui semble. Au-delà du corps individuel, on retrouve un élément qui structure l’ensemble des saynètes, un thème qui revient constamment : celui du besoin de l’autre et notamment le besoin de prendre l’autre corps dans ses bras, de ressentir le contact de la chair. Une scène résume parfaitement ce propos, celle du fils tenant son père mort qui n’est pas sans rappeler la sculpture Pietá de Sam Jinks. Flesh interroge intelligemment notre rapport à l’étreinte et propose, à travers plusieurs projections sur scène, divers questionnements sur le propre de la nature humaine en particulier dans les rapports qu’il entretient à l’autre. Dans la troisième saynète (Love Room), on retrouve le personnage de Dora qui s’est réservée une heure dans une salle de jeu virtuel. Elle choisit de vivre différents instants cruciaux du film Titanic en incarnant Rose. Le comique de situation est à son comble puisque le spectateur assiste au théâtre d’une jeune femme qui déambule anarchiquement dans l’espace sous le regard las du gérant de la salle. Pour autant, on imagine aisément dans quelle mesure les moments intimes (virtuels) vécus par Dora, une femme qui s’avère profondément seule, peuvent être forts. Le déchirement ressenti à la fin du jeu est à la fois abracadabrant et poignant puisqu’il nous confronte directement à la solitude et au besoin vital d’en échapper, à la nécessité d’aimer et d’être aimé.
Le pire et le meilleur des relations humaines
Le spectacle de Sophie Linsmaux et d’Aurelio Mergola présente les relations humaines dans toute leur ambiguïté. On retrouve ce qu’il y a de pire dans l’être humain avec notamment la quatrième saynète (Embrace) qui met en scène quatre frères et sœur se réunissant, contre leur volonté, dans un café pour le partage des cendres de leur mère. Un moment brutal où tous finissent par se battre dans un instant de rage collectif, mais dont l’élément déclencheur reste l’amour qu’ils partagent pour leur défunte mère. C’est également le cas dans la deuxième saynète (Kathy and John) où John a voulu offrir, pour l’anniversaire de sa femme, une chirurgie esthétique de son visage. Lorsque Kathy constate que le visage de John est totalement raté, elle fuit et repousse tous les contacts physiques avec son mari. Seulement, même si toutes ces saynètes dépeignent un monde « où tout va formidablement mal », on remarque que l’humanité des personnages reste bien présente puisqu’il y a toujours une petite lumière dans l’obscurité. On retiendra à cet effet la scène finale qui clôture la pièce par une étreinte collective (et humide) des quatre frères et sœurs… Assurément, Flesh est un coup de cœur à voir absolument !
Flesh, mis en scène par Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola du 18 au 25 juillet au Gymnase du lycée Mistral d’Avignon