Le dernier roman de Christine Angot raconte une semaine de vacances et d’inceste d’un père et sa fille, avec une précision chirurgicale. L’enjeu de la relation incestueuse est le contrôle de la langue.
Le narrateur d’Une semaine de vacances est censé donner l’impression, à la lecture des cinquante premières pages, qu’il raconte les relations sexuelles et amoureuses entre un homme, un intellectuel quinquagénaire de la bourgeoisie giscardienne des années 70’ et une jeune adolescente docile à la puberté accomplie, le tout lors d’une semaine passée dans une maison de vacances. Il est cependant très difficile d’entamer ce roman en faisant abstraction du sujet essentiel à toute l’oeuvre et à la vie de l’auteure: l’inceste entre un père et sa fille. Cette dernière se plie à tous les désirs paternels, des plus pervers aux plus banals comme celui de dîner au restaurant. Le père semble cependant respecter un pacte qu’il a conclu avec sa fille (la défloration est proscrite), pacte que l’adolescente considère comme une preuve d’amour. Le lecteur pourrait penser avoir à lire entre les lignes une profonde histoire d’amour. Mais c’est sans compter sur la disproportion étonnante entre les scènes sexuelles qui couvrent la quasi-totalité de l’intrigue et les quelques tirades amoureuses qui la ponctuent. Ces deux univers, sexuels et amoureux, semblent si éloignés dans ce texte, que leur juxtaposition à certains passages, provoquent un contraste qui en refroidira plus d’un. Alors que les deux protagonistes entrent dans une église, ils forment une union amoureuse éclairée: ‘’ils se donnent la main. La lumière traverse les vitraux et caresse leurs visages.’’ L’homme dit à la jeune fille ‘’qu’elle est la personne qu’il aime le plus au monde’’, il lui ouvre son coeur… pour ouvrir sa braguette quelques minutes plus tard: il ‘’éjacule dans sa bouche, et remonte dans la voiture, après lui avoir donné son mouchoir bien plié pour s’essuyer.’’ L’amour se réduit à une attention hygiénique.
Les relations sexuelles incestueuses sont décrites avec précision et clarté. Le narrateur omniscient, comme un témoin privilégié présent dans tous les lieux où cela se passe (chambre à coucher, toilettes, voiture, église), semble raconter les pensées de la jeune fille dans ces instants. Son ironie est savoureuse quand il évoque les perspectives amoureuses de l’inceste: ‘’Parce que là au moins, elle voit ce que c’est un homme qui l’aime. Elle s’en souviendra dans ses futures rencontres.’’ La fille assimile les nouvelles règles de son éducation sexuelle à domicile, et le lecteur a le droit a un guide précis de la fellation intériorisé par une adolescente: ‘’contenir la longueur de membre maximum, tout en restant douce, sans mettre les dents, le plus possible jusqu’à la garde‘’.
Le guide est une figure-clé du roman. L’inceste est pensé comme un voyage initiatique ou une visite guidée par les paroles du père: ‘’Il lui dit qu’il va s’allonger, qu’elle n’a qu’à suivre son mouvement, qu’ils sont en train d’y arriver.‘’ A ce guide de la fellation dicté par le père, s’ajoutent une quantité d’autres guides, symboles matériels, notamment les ‘‘Michelin‘’ éparpillés sur les secrétaires dans la maison. Mais le voyage incestueux durant cette semaine de vacances n’est pas dépaysant.
L’inceste est incorporé dans le quotidien le plus banal du foyer. Cet acte est rendu invisible et se fond dans la geste de tous les jours. ‘’Ca ne se voit pas mais dans le tiroir de sa table de nuit, il y a aussi un tube de vaseline, ils sont allés l’acheter à Grenoble, dans une pharmacie, la veille, en même temps, que Le Monde‘’. L’inceste quotidien exposé dans ce roman prend part à l’univers intellectuel bourgeois de la période giscardienne, aux signes vestimentaires bien distincts. ‘’Sur son étage à lui, il y a un pantalon Lacoste à carreaux, malgré la saison , novembre, un autre en velours beige‘’. Les normes quotidiennes du foyer, comme la politesse, réglementent la pratique sexuelle: ‘’tu peux bouger un peu tes fesses, s’il te plaît‘’. Plus que les détails pornographiques des scènes, c’est la bienveillance paternelle envers sa fille qui est effrayante: ‘’il dit qu’il viendra lui dire bonsoir‘’, ‘’Dis. C’est bon papa.‘’ ‘’Arrête de bouder, on dirait un gros bébé.‘’ L’effet produit par la lecture de cet inceste réside sans doute dans l’infantilisation de la relation.
Mais ces rapports sont montrés dans ce roman comme le produit d’une domination par le langage d’un être sur un autre. L’omniprésence du discours indirect libre du type ‘’Il lui dit de faire attention, car elle l’a mordillé, sans le faire exprès.‘’ dans la narration, retranscrivant les directives incessantes du père, exprime cette vision de l’inceste comme essentiellement domination d’un langage. C’est-à-dire simplement une somme de signes qu’un tiers apprend à un autre pour communiquer: ‘’Si ça fait mal, fais-moi un signe avec la main droite, la main droite ça veut dire ‘’c’est un peu désagréable‘’, la main gauche ça veut dire ‘’c’est bon tu ne me fais pas mal‘’ ‘’. La nature de toute relation, de tout rapport de force, est conditionnée par le langage. Cette réflexion politique (au sens large) sur le langage, à travers le sexe et l’inceste, prend tout son sens dans un cours particulier d’étymologie sexuelle sur le mot «vagin» que délivre le père après un cunilingus : ‘’Il lui a indiqué que c’était le vagin. Que déconner voulait dire sortir du con. Que quand on dit de quelqu’un qu’il est con ça veut dire qu’il est aussi stupide que le vagin d’une femme.‘’ Le moment est même trouvé pour disserter sur la vitalité du langage et se plaindre que ‘’pour désigner le sexe d’une femme‘’ on utilise ‘’que des mots savants, médicaux, froids‘’.
L’inceste se construit sur un rapport de domination du père à travers le langage. L’oeuvre de Christine Angot serait une tentative de libération face à l’emprise des plus sombres pulsions humaines, emprise renforcée par un ordre bien établi du langage, que l’écrivain doit à tout prix renverser.
Christine Angot, Une semaine de vacances, Flammarion , 128 pages
Alexandre Poussart
Un article par Sébastien Reynaud, le 21 octobre 2012
Trop de livres. Trop de films. Trop d’expositions. Trop à lire, trop à voir, trop à entendre pour une seule personne, en une seule vie. Et pourtant tout m’intéresse, tout m’électrise, tout m’embrase, et je voudrais tout comprendre, tout savoir et tout transmettre. D’où ma volonté de créer Zone Critique: rassembler des amoureux de la culture pour lesquels celle-ci est avant tout une aventure altruiste, joyeuse et passionnée.