Dans sa pièce Le Dépôt amoureux, Camille Plazar part d’une idée pas si farfelue que cela : soigner la rupture amoureuse comme une maladie cardio-vasculaire.
Réparer les morts-vivants
La scène s’ouvre sur Noé, gisant là comme un pantin désarticulé. Tout en lui enlevant ses points de suture, quatre médecins discutent de son cas en jargonnant avec délectation : Noé souffre de separus brutus, une rupture inattendue brutale qui a nécessité un internement en urgence dans une curieuse clinique pour cœurs brisés. Il ne pourra en sortir que lorsqu’il sera réparé en « tuant quelqu’un ». Mais qui ?
Tout le monde, patient comme soignant, est prisonnier de son chagrin et de ses souvenirs
C’est aussi la question que se posent Simone qui avale livre sur livre pour trouver la solution à un problème qu’elle ne parvient pas à formuler et Lise, atteinte du syndrome de l’infirmière et traînant non pas un boulet mais une bouée impossible à enlever. Et ce ne sont pas Solomon Itegrand Camarude, une infirmière éméchée qui lui amène des bouteilles de plus en plus volumineuses pour lui faire oublier son chagrin, ou son « ange gardien » (surnommé Le Prince Charmant) naïf et benêt alignant les phrases convenues de consolation (Gabriel Arbessier Cadot tordant), qui pourront l’aider. C’est que tout le monde, patient comme soignant, est prisonnier de son chagrin et de ses souvenirs…
Noé se contraint alors à suivre les curieuses séances de thérapie où les corps des patients, comme électrisés, sont secoués de spasmes, et à écouter les propos décousus sur la chasse de son “Prince Charmant”, sans bien voir le rapport avec la choucroute…
Soigner les mots au corps à cœur
En une heure de spectacle, l’opération sauvetage est rondement menée. Dotée d’une écriture précise qui découpe au scalpel chaque mot de la relation amoureuse pris au pied de la lettre (de dés-amour) et de comédiens pathétiques et burlesques à souhait, Camille Plazar nous pousse à nous questionner sur notre rapport à l’échec amoureux à l’heure du développement personnel et de la rencontre en ligne où il faut être la meilleure version de soi-même. D’une souffrance individuelle, la rupture amoureuse se fait aventure collective où l’on essaie tant bien que mal de se soigner en soignant les autres, jusqu’à ce qu’émerge une belle solidarité. On ressent toute la tendresse de la metteuse en scène pour ses personnages, si étranges et si perdus dans ce monde inhospitalier, matérialisé par une scène dépouillée au maximum, qui n’arrivent pas à se libérer de l’espace-mot auquel ils se sont eux-mêmes assignés. « Heureux les fêlés, ils laisseront passer la lumière », disait Godard.
La rupture, c’est l’histoire d’un magnétisme rompu, de deux pôles qui s’inversent, et les maux sont vécus par le corps
Mais la plus grande réussite de la pièce, outre les fous rires attendris qu’elle suscite, est d’arriver à faire d’un état d’âme un état de corps, résumé ainsi par la metteuse en scène : « La rupture, c’est l’histoire d’un magnétisme rompu, de deux pôles qui s’inversent. Ainsi, les maux sont vécus par les corps, les troubles magnétiques sont projetés, et nous plongeons dans les entrailles des personnages comme si leur biologie s’affichait à l’écran. » Les chorégraphies des séances de thérapie inspirées du travail de Pina Bausch nous montrent donc ces cœurs en souffrance qui se réparent doucement sous nos yeux. Lorsqu’il sort de la clinique, Noé sait que la route sera encore longue, que son corps lui fera encore mal, mais avec ses drôles de compagnons désartibulés, il peut de nouveau marcher.
- Le Dépôt amoureux de Camille Plazar, au Théâtre des Déchargeurs (Paris) jusqu’25 octobre.