Du 7 au 16 décembre, Johanny Bert présente La (nouvelle) ronde, une création marionnettique drôle et poétique inspirée de l’œuvre sulfureuse d’Arthur Schnitzler. Après le franc succès de HEN, le metteur en scène poursuit son exploration des identités plurielles et son appel à s’affranchir des normes pour embrasser l’idéal d’amours polymorphes au bon goût d’autre chose.
Johanny Bert pose ses valises à la Maison des Métallos pour un mois de décembre dédié à nos AMOUR(S). Dans un tourbillon vertigineux de conférences, de lectures, d’ateliers, d’installations et de spectacles, le metteur en scène questionne les identités amoureuses. Pièce maîtresse de l’événement, La (nouvelle) ronde s’inscrit dans un triptyque débuté en 2019 avec HEN – qui questionnait le genre – et que Bert boucle avec Le Processus, une pièce à destination des adolescents sur l’entrée dans la sexualité. Si la parenté des deux premiers volets de la trilogie semble évidente, le dernier opus se détache nettement par le public qu’il vise et l’esthétique sobre et sans manipulation qui a été choisie. Un point les rassemble pourtant : la création d’un espace d’expression sur un sujet longtemps resté tabou.
Dans La (nouvelle) ronde, ce n’est pas un dialogue unique mais dix qui nous sont offerts. Johanny Bert emprunte ici la structure de La ronde, une pièce écrite par Arthur Schnitzler en 1897 et censurée dès sa parution car jugée obscène. Le principe dramaturgique est simple : chaque scène est un dialogue entre deux personnages qui ont une relation sexuelle. Petit à petit, on s’aperçoit qu’une ronde s’installe, les protagonistes ayant chacun deux partenaires successifs et apparaissant donc dans deux scènes consécutives – jusqu’à ce que le personnage de la dernière scène ait une relation avec celui de la première. Un mécanisme bien huilé et exécuté avec une précision virtuose par l’équipe de Johanny Bert, accompagnée de la musicienne Fanny Lasfargues dont les boucles hypnotiques tissent des liens entre chaque scène avec une douceur amoureuse – une tendresse inattendue pour qui connaît le texte de Schnitlzer.
Ronde sentimentale
En effet La Ronde est à l’origine loin d’être une œuvre sentimentale. Au contraire, les personnages y baisent sans passé ni avenir, prisonniers d’un schéma désir-consommation sans issue. Cette vanité révèle l’hypocrisie sociale d’une Vienne décadente obsédée par le commerce direct ou indirect des corps. De ce point de vue, les personnages de Schnitzler sont effectivement de véritables pantins sociaux qui se prêtent magnifiquement à la manipulation marionnettique.
Seulement ce n’est pas le parti que prend ici Johanny Bert. Ses pantins sont libres, insolents et plus que tout ils ne « baisent » pas, ils font l’amour – en inclusif. Dans la feuille de salle, on lit que cette version actualisée de l’œuvre de Schnitzler a pour objectif de poser « un regard sensible et joyeux sur la pluralité de nos pratiques sexuelles et amoureuses. » L’enjeu se situe désormais du côté du couple désir-liberté et d’une déconstruction de l’hétéronormativité. Rien à voir donc, avec la version originale. Pourquoi pas ? Gay, lesbienne, bi, asexuel, transgenre – le spectre des possibilités est infini, infiniment fluide. Tout comme la diversité décomplexée des pratiques (échangiste, polyamour, vanille, BDSM, etc.) que les marionnettes performent bravement sur scène dans un jeu permanent avec les schémas sexuels établis. Elles les suivent, les tordent, les cassent, y reviennent ou les ré-interprètent à l’aulne de nouvelles sexualités, notamment transgenres.
Quelle légitimité ?
Il s’agit donc de « déconstruire » – un principe très en vogue dont se saisit Johanny Bert dans une mise en scène qui frappe par son réalisme. Ses marionnettes de grande taille, construites sur le modèle des Bunraku japonaises, fascinent par leurs expressions plus qu’humaines et leur gestuelle ultra contemporaine. À ce titre, le décor digne d’un film d’Hollywood répond merveilleusement bien à ce niveau de précision. Pourtant il se craquèle face à un doute terrible : le metteur en scène est-il légitime ?
Les personnages de Schnitzler sont effectivement de véritables pantins sociaux qui se prêtent magnifiquement à la manipulation marionnettique.
La question survient dans un échange entre Virginie, marionnette rebelle qui n’est pas sans rappeler Hen, et son créateur Johanny Bert lui-même. Comment retranscrire la complexité des propos recueillis en entretien sans tomber dans la caricature et l’établissement de nouvelles normes ? Les marionnettes qui performent sur scène sont-elles consentantes ? Est-il légitime de traiter de pratiques que l’on n’a jamais expérimentées soi-même ? Pourquoi avoir recours à la marionnette pour porter ces sujets ? Autant de questions qui restent sans réponses, vite balayées par un numéro aérien et chimérique splendide. Dommage, voilà des sujets qui méritaient d’être creusés.
On retiendra toutefois les habiles renversements de points de vue qui rendent hommage à l’art de la manipulation et en révèle le caractère unique ; à l’instar de cette scène surprenante dans un club échangiste où un humain devient l’objet sexuel d’un pantin. « Tire sur mon annulaire et fais le tour de mon cul » offre l’homme nu, tel une poupée programmée pour le plaisir. Enfin, la marionnette reprend le pouvoir.
Véritable ode à la liberté et au désir, cette ronde nouvelle saisit avec une acuité rare et documentée toutes les couleurs qui composent l’arc-en-ciel des amours contemporaines. Un spectacle plein d’humour qui ne vous laissera certainement pas indifférent et vous ouvrira peut-être même des perspectives. Qui sait ? Complet à Paris mais à retrouver en tournée dès 2024.
- Jusqu’au 16 décembre 2023 à la Maison des Métallos puis :
- 6 et 7 février 2024 CDN de Normandie-Rouen
- 14 février 2024 Le Sablier, CNMa – Ifs
- 13, 14 et 15 mars 2024 Théâtre de Cornouaille – Quimper
- 26, 27 et 28 mars 2024 La Coursive, Scène nationale de La Rochelle
- Conception et mise en scène Johanny Bert
- Commande d’écriture à Yann Verburgh (à l’exception de la scène 6, écrite par l’équipe du spectacle)
- Dramaturgie Olivia Burton
- Avec Yasmine Berthoin, Yohann-Hicham Boutahar, Rose Chaussavoine, George Cizeron, Enzo Dorr, Elise Martin
- Et la musicienne Fanny Lasfargues (composition et interprétation)
Illustration : La (nouvelle) ronde de Johanny Bert, Maison des Métallos, 2023