
Vive l’Amérique !
-« Alors Obélix l’Helvétie, c’est comment ? » interroge Panoramix, le druide du village gaulois, « Plat » lui répond Obélix qui s’est endormi au moment de la traversée des montagnes de Suisse.
L’intrigue principale du roman de Fabrice Pataut intitulé Reconquêtes est le récit de Dorothy Cunningham qui possède un terrain qui a la forme des Etats-Unis, pays par ailleurs très en relief, un peu comme la Suisse… A l’instar d’Obélix je répondrais volontiers, à qui me demande mon avis sur cet ouvrage qu’il est « plat » ou peut-être, tout comme Obélix, me suis-je endormie pendant la traversée romanesque.
Ce roman évoque tous les sujets convenus sans oser s’engouffrer dans une voie déterminée
« Elle saisissait l’ampleur de ce qu’ils devaient tous à l’Amérique ; aurait pourtant préférée que Koons avançât enfin sa main sur sa cuisse ». Cette citation est tout à fait révélatrice du roman en général, mêlant apologie de l’Amérique et histoire d’amour convenue, comme celle de Karen et Don en « relation libre », puisque Karen en femme libérée a de nombreux amants, dont un certain Duke un imbécile heureux mais viril, quoi de plus symbolique que ce couple pour incarner la liberté qui souffle aux Etats-Unis ? Mais heureusement, l’amour n’a pas disparu de ce pays paradisiaque puisqu’à la fin de l’ouvrage Rachel et Dexter, homme mystérieux qui porte lourdement le deuil de son fils, perdu dans un accident de voiture (quelle mort plus emblématique de l’Amérique que celle d’un jeune homme dans un accident de voiture, on le confondrait presque avec le James Dean de la Fureur de Vivre.) regardent ensemble «la nuit profonde s’éteindre, glisser sans bruit de l’autre côté de la terre, les étoiles s’effacer et le soleil couronné d’or se lever pour eux au bout du jardin Cunningham. » Tout est bien qui finit bien ! et on en pleurerait presque.
So ?
L’apologie de l’Amérique est présente à même l’écriture de Pataut qui ne cesse d’user d’expression de la langue anglaise, qui symbolise, pour tout lecteur lambda, l’attitude américaine et ses « so ? » un peu insolent et un peu nonchalant, on imagine volontiers les personnages mâcher du chewing-gum en posant leur question. Cette retranscription de l’américain semblant vouloir donner (Mais l’auteur y arrive-t-il vraiment ?) une certaine allure et une certaine étoffe aux personnages, dont l’un, en bon américain qui se respecte, défend contre vents et marées l’importance cinématographique du film de Griffith, Naissance d’une Nation, tout en concédant timidement qu’il s’agit d’un film raciste, d’ailleurs il a une amie noire.
Mais l’apogée de l’idée convenue est peut-être le fait que le personnage qui détient, lui aussi un jardin qui a la forme d’un pays : l’Alaska, et qu’il souhaite vendre à Dorothy Cunningham (qui elle, a un terrain qui a la forme des Etats-Unis) est un homme d’origine russe prénommé Vladimir ! Personnage qui n’a de russe que le nom puisqu’il a grandi aux Etats-Unis bien qu’il soit né en Russie, personnage parfaitement assimilé donc (encore une belle image de l’Amérique impérialiste)
L’image de cette marchandisation et ces accords concernant des terrains n’est pas sans nous faire penser au conflit de la guerre froide, mais le symbole est un peu lourd.
On n’oubliera pas non plus que Rachel (jeune femme juive…évidemment) a une grand-mère qui lit François le Champi mais Fabrice Pataut voudra bien m’excuser, je préfère de loin la grand-mère du narrateur proustien.
- Reconquêtes, Francois Pataut, Pierre Guillaume de Roux, 2011

EXCUSÉE
Mais, oui, chère Judith Cohen, vous êtes excusée. Pleinement. C’est touchant de l’avoir demandé, un signe de bonne éducation. Voilà qui est fait. L’Amérique impérialiste. Ouh là ! Comme on y va ! Y’a de ces mots ! Les mots qui ont du sens ! La politique ! Et vlan ! Bien sûr, un mauvais jugement ne venant jamais seul — il s’ennuierait ferme — la condescendance pour « les bons[s] américains qui se respecte[nt] » pointe son nez. Ben voyons. Nous y sommes. Ayant longtemps vécu aux États-Unis, j’y ai rencontré des Américains que j’ai trouvé plutôt bons, et même souvent très bons. Se respectaient-ils ? Pas forcément. Les Américains sont-ils de droite ? Pire : Reconquêtes commet-il la faute balourde de croire que tous les Américains, en tant que Ricains, sont de droite ? Reconquêtes reste plutôt discret sur le sujet. La droite, ici, est plutôt celle du blason. Dexter. Je n’en aurait point fait un homme de gauche si je l’avais nommé Sinister. Non. Dexter est à sa façon un homme juste, le seul du livre. Un homme intègre tant bien que mal, qui se protège comme il peut avec des boucliers de fortune et on voit souvent les choses de son point de vue (Rachel, la mort, le sexe et tutti quanti). Ce qui est à droite, dans le monde des armoiries, l’est pour celui qui porte le bouclier. C’est une règle. Je l’ai suivie et il en donc ainsi de Dexter.
Et Vladimir… Russe ? Non. Plutot nabokovien et même un peu nabokovite ; ça le démange sans arrêt, il s’occupe de papillons et d’inceste. Du Vladimir pur jus. Ce qui compte, c’est que son jardin soit muré et qu’on y lise Pouchkine.
Et puis cette dernière remarque, décorée de délicieux points de suspension, à propos de Rachel : « (une jeune femme juive… évidemment) ». De quelle évidence s’agit-il ? J’ai beau chercher, rien ne vient. Bon. Mais ce qui est drôle — décidément on s’amuse — c’est que j’ai hésité un moment sur le patronyme de ladite Rachel non moins que sur son prénom, sans parler de la grand-mère. Et là, un élément autobiographique s’est glissé en douceur, comme une petite sucrerie de l’enfance. Drocheiner : c’est comme ça que ma mère s’appelait au début des années cinquante, et son adresse de l’époque est imprimée telle quelle sans fioriture à la page 66. Je me suis fait plaisir avec un vieux bandeau de la poste. Mais pas seulement. C’est aussi à cause de Proust, on ne se refait pas, et le véritable élément proustien du roman, bien plus que François le Champi, c’est la cuisine de monsieur Drambuse qui abrite Hannah au troisième chapitre de la deuxième partie. Carrelée, infinie, avec son beurre frais mis sous gaze ; non moins d’ailleurs que le nom de la rue où elle est sise comme un domaine : Prosny. Avouez quand même qu’il a, ce nom-là, du moins géographiquement, un petit côté plaine de Monceau.
Fabrice Pataut