Espace intermédiaire et ambivalent, le parloir est le sas de décompression choisi par Patricia Mazuy pour révéler les contrariétés de deux épouses dont les maris sont en prison. Même si le film parvient à illustrer un fait de société, ce qui intéresse vraiment la cinéaste, c’est la rencontre de ces femmes issues de classes sociales différentes et enfermées dehors. 

Le corps flottant d’Alma (Isabelle Huppert) se reflète dans les dalles noires qui ornent le plafond d’un fleuriste. Dédoublée et déformée, c’est par la rencontre avec cette femme sophistiquée mais fébrile que l’on entre dans le film. Difficile de choisir où regarder lorsque l’on épouse le point de vue de celle qui nous fait entrer dans son royaume. Une fois arrivée dans sa maison, Alma s’arrête devant un mur rouge, un clou est percé dans le vide. On comprend qu’un tableau a disparu. Une pizza à moitié dévorée et des légumes coupés sont abandonnés sur un plan de travail. Le temps est suspendu et Alma semble arriver après le spectacle, derrière le rideau qui ici est un mur auquel on se heurte. La Prisonnière de Bordeaux est un théâtre et ses comédiennes entrent en scène avec un temps de retard.

Rapports de force

Le choix du titre demeure énigmatique : qui est la prisonnière ? Ce sont bien deux femmes dont on dissèque les doutes et les névroses et que l’on aimerait libérer d’une vie qui les assigne à résidence. L’arrivée de la seconde, Mina (Hafsia Herzi), diffère de la première. Un corps droit et affirmé s’impose dans la maison d’accueil de la prison. Les tresses qui ornent le visage lui donnent un air hostile. Elle arrive dans le champ comme une furie, imposant sa présence à ceux qui lui font remarquer qu’elle ne pourra pas aller au parloir aujourd’hui, faute de les avoir prévenus. Alma est intriguée et tente mollement de prendre sa défense. La rencontre a lieu entre la bourgeoise de province et la jeune femme de banlieue. Deux corps qui occupent l’espace différemment mais avec ce même effet d’imposture. Alma est trop légère et Mina trop lourde. On dirait qu’elles ont été posées dans le décor malgré elles. Tantôt à l’étroit, tantôt passagères d’une vie qui ne leur ressemble pas. Elles sont épouses avant d’être femmes. Et, au-delà du déterminisme social qui est la grille de lecture la plus évidente du film, il y a un rapport de force féminin dans lequel chacune impose sa singularité. Ces corps pesants ou en lévitation ne cessent d’être ballottés. Au début, Mina dort sous un abribus près de la prison, quand Alma vient la chercher au volant de sa grosse voiture. Elle finit par l’héberger chez elle. On se dit que la bourgeoise la prend sous son aile et que la lutte des classes est en marche. Très vite, on verra que Mina veille également sur la première. Lorsque l’une éprouve le temps et l’ennui, l’autre se fatigue de n’en avoir jamais assez. Les déplacements s’enchaînent et la voiture leur permet de passer d’un espace à un autre. De la rue au château, d’abord et pour caricaturer, puis de la prison conjugale à la liberté retrouvée, enfin, quand les deux femmes prendront séparément le volant pour échapper à leur quotidien. Entre les deux, il y a une séquence de sortie en bord de mer, unique scène où on laissera les personnages respirer. Là aussi, la voiture occupe le cadre. Elle est à gauche, ouverte, permettant à Mina de s’y asseoir, lourde encore. Alma est à droite, un pied dehors. Un homme pénètre le champ et s’invite dans le duo. La séduction s’amorce et nous montre que les deux femmes s’autorisent un moment d’égarement.