La tarte à la crème impressionniste
Je n’ai jamais aimé l’impressionnisme. Imaginez donc ma profonde affliction lorsque j’ai découverte une affiche annonçant une énième exposition consacrée à Monet et ses acolytes. Malgré les –très louables- efforts du Musée d’Orsay de la saison dernière, (souvenons-nous de ces fabuleuses expositions préraphaélites!) la tarte à la crème impressionniste signe son grand retour pour l’hiver. Du 25 septembre 2012 au 20 Janvier 2013, le spectateur est donc invité à arpenter une dizaine de salles afin de redécouvrir l’impressionnisme mis à nu à travers le prisme de la mode.
Est-il encore réellement nécessaire de présenter l’Impressionnisme? Jadis formé par Monet, Cézanne, Degas, Pissarro et Renoir -désormais érigés sur l’autel de la renommée française en de véritables icônes nationales- lors de la seconde moitié du XIXème siècle, ce mouvement marqua une rupture brutale dans l’art moderne et ouvrit le chemin aux avants gardes vers la gloire abstraite. Alors que l’académisme se replie dans ses derniers bastions, les artistes prônent à présent une diffraction picturale, cherchant à capter les impressions fugitives rétiniennes en dépit de l’aspect concret des choses. A cette dissolution picturale, répondra en échos la dissolution d’un monde naturel qui s’emplit, tout comme les gares de St Lazare, d’incessantes volutes de fumée. Immédiateté, modernité, transcription d’un monde qui s’industrialise, tels seront vers la fin du XIXème siècle, les crédos de cette nouvelle esthétique.
Malgré un dédain certains envers la plasticité impressionniste, je dois avouer avoir été réellement envoûtée par cette exposition et plus encore, par sa scénographie. Comme les déchirantes critiques en témoignent, l’exposition ne laisse pas indifférente : Robert Carlsen véritable magicien pour certains, imposteur pour d’autres, a réussi à relever le difficile défi et revisiter un sujet peu inédit: les impressionnistes.
Il est vrai que l’exposition témoigne de certains défauts; outre la ridicule étroitesse des salles et le manque de fluidité, elle n’explicite pas assez ouvertement sa démarche et nous fait regretter un exposé plus ludique. Ainsi la critique de Philippe Dagen, condamnant l’impressionnisme avec autant de fougue que de verve dans son article « L’impressionnisme et la mode », est symptomatique d’une exposition mal comprise, jugée comme « superficielle », perçu vidée de tout substrat et qualité scientifique. Cette impression, partagée par de nombreux visiteurs, est très certainement dû à la très regrettable absence de cartels. Le cruel manque de contextualisation, provoquant ainsi un déséquilibre en mettant le spectateur ou l’amateur d’art au même niveau que le commissaire ou encore le connaisseur, participe également à brouiller les pistes et perdre de vue la subtilité de l’exposition. Ainsi le spectateur se perd entre frou-frou, dentelles, tableaux, gravures, photographies –et j’en passe- sans réellement saisir la substantifique moelle et la place de la mode. . Néanmoins l’élément le plus critiquable, du moins il me semble, est la question de l’intitulé du sujet d’étude exposé. Les tableaux sont sensiblement tous exposées avec un seul et même degré de lecture, or ni Tissot ou Stevens ne furent véritablement des impressionnistes 1.Il ne fait nul doute que si « L’impressionnisme et la mode » avait été rebaptisé en « Peinture et mode en France de 1865 à 1880 », les commissaires d’expositions se seraient d’une part départis d’une catégorisation « formaliste » – participant largement à un cloisonnement aveugle- et d’autre part le champ d’étude aurait pu être énoncé plus distinctement, permettant ainsi au public et à la critique de le discerner avec plus d’aisance.
Mais tout comme l’exposition Cult of Beauty se travestie en une présentation succinctes des mœurs et productions voluptueuses de l’Angleterre [au temps] d’Oscar Wilde – et ou soyons honnête, le rapport avec l’écrivain irlandais reste aussi léger que douteux- l’Impressionnisme, devient gage de qualité et synonyme de « ka-ching » auprès d’un public des plus vaste.
J’aimerais néanmoins revenir un peu plus en détail sur les réactions suscitées par la scénographie et me servir des critiques afin de sonder des questions aussi fondamentales que passionnantes, s’attachant à la construction identitaire des expositions dites « spectacles ».
Le problème des expositions spectacles : la critique du « money cash flow », où une archéologie de l’exposition spectacle
Alors que jadis l’on assistait à des combats de coqs, des exécutions publiques, où encore des représentations à l’opéra pour certains et théâtrales pour d’autres, l’on préfère désormais se divertir au cinéma ou au musée. Le divertissement, cette notion centrale qui structure en grande partie notre comportement social, a toujours été un élément important dans notre jugement appréciatif. Mais depuis que l’homo novus évolue dans une société de spectacle –comme l’analysera si judicieusement Guy Debord-, raffolant avidement du spectaculaire, il façonne à présent de simple exposition de peintures en de véritables événements culturels à portée internationale.
L’exposition l’Impressionnisme et la mode, énonce peut être encore plus distinctement que toute exposition française la précédent, la notion de divertissement comme un de ses constituants fondamental.
Symptomatique d’un profond changement de paradigme, cette exposition relate une voie qu’empruntèrent les expositions de peintures il y’a très exactement quarante huit ans de cela. Il est d’autant plus amusant –et ironique ?- de noter que ce fut une exposition impressionniste, célébrant le centenaire du mouvement, qui marqua le passage d’expositions de peinture à des expositions « spectacles »2. Ainsi l’exposition en 1974 au Grand Palais, fut la première à enregistrer le vertigineux chiffre de dix milles spectateurs venu admirer plus de cinquante chefs-d’œuvre d’un éclectique jumelage de prêt entre le Métropolitain Museum of Arts et le Louvre.
Date capitale, elle marque, outre l’apparition d’un des premiers catalogues d’exposition3, l’apothéose d’une lecture « formaliste », ou l’impressionnisme se fraye une place dans l’historiographie moderne comme la célébration d’une nouvelle rapidité d’exécution en peinture, s’opposant à une peinture dite « officielle ».
Ce sera suite à cette exposition en 1974, ainsi que d’un mouvement « savant » du côté des musées 4, que se mettra rapidement en place dès les années 1980 un système d’expositions spectacles –notamment au Grand Palais- centrés autour des sujets monographiques retraçant la création artistique de la Renaissance à nos jours. Les salles muséales se verront rapidement investies d’expositions relatant l’évolution picturale et stylistique d’artistes « majeurs » comme Manet, Monet, Renoir, avant de se pencher sur des artistes moins connus comme Daumier ou encore Corot pour le XIXème siècle. Mais à la vitesse exponentielle où ces expositions se font et se défont, le système inexorablement s’épuise. Et ainsi dès la fin des années 90, la plus part des grandes monographiques artistiques furent déjà savourées par un vaste public.
L’esprit anglo-saxon, ayant toujours une longueur d’avance et doté de son inégalable pragmatisme avait réussit, dès la fin des années 1980, à contrer l’essoufflement général grâce à la mise en place d’expositions thématiques. Comme le suggéra l’exposition de 1984 L’impressionnisme et le paysage anglais, l’école britannique réussit à faire (re)découvrir un corpus d’œuvre préalablement connut du public en l’exposant sous un nouvel éclairage. En outre, cette valorisation thématique engendra également un repositionnement face à la question du contexte général dans la gestation artistique, et contribua largement à un renouvellement de la lecture du mouvement impressionniste. Désormais ces tableaux ne translataient plus uniquement des changements de perceptions, mais s’érigèrent comme d’immuables témoins d’un monde se modernisant. Le modèle de revitalisation historiographique anglo-saxon, permit à l’Impressionnisme de raconter tour à tour, l’apparition des chemins de fer, le phénomène de villégiatures, les conditions sociales des ouvriers et à présent le rapport à la mode ainsi que le début de consommation en masse du vêtement.
Réussir de ce fait à renouveler la lecture proposée de l’impressionnisme est chose peu commune, d’autant plus si cette dernière est accompagnée d’une scénographie si radicale. Exposition évènement, L’impressionnisme et la mode, expose une kyrielle de vêtements, accessoires et autres secrets appâts de la garde robe féminine du XIXème siècle sans pour autant omettre l’attirail vestimentaire du parisien chic.
Sponsorisé par Dior et LVMH, symptomatique d’une volonté de rapprocher la Haute-couture de la peinture, elle témoigne de l’évolution de l’étude du vêtement en dehors des enceintes spécialisées. Sujet d’étude encore fort jeune en France – la création du musée Galliera date de 1977- l’exposition comme la scénographie est cependant tributaire du phénomène américain connut sous la dénomination de « Periods-rooms » au Metropolitain Museum of Arts à New York. L’ami américain, friand de théâtralisation, propose une reconstruction à l’identique de salles entières dans le musée pris dans divers grandes demeures dans lesquelles sont directement exposées les œuvres. Jouissant d’une mise en scène totale, l’on peut parfois entrevoir des mannequins revêtus de robes d’époque, s’abandonnant à diverses activités des siècles passés. Il me semble que cette idée est reprise au musée d’Orsay, soutenue par une scénographie des plus originales, ou l’on propose au spectateur de réfléchir sur le vêtement et la peinture de façon similaire : tous deux n’étant finalement que question de matière, couleur et beauté.
1 Bien que Tissot et Stevens ont effectivement fréquentés les cercles impressionnistes et étaient liés amicalement avec ces derniers, leur style ne peut en aucun cas être labélisé comme « impressionnisme ».
2 Nous parlons bien ici de peinture. L’autre exposition qui enregistra ce changement de paradigme, fut bien sur celle de Toutankhamon en 1967 qui compta plus d’un million de visiteurs en six mois.
3 L’apparition d’un des premiers véritables catalogues d’exposition, s’articulant comme un ouvrage scientifique et non un recensement stoïque des œuvres d’arts, agrémentée d’une courte description.
4 Sous le mandat de Giscard d’Estaing se crée avec la direction de Michel Laclotte le Musée d’Orsay en 1986, qui participera à faire découvrir au public un « autre » XIXème siècle.
Jacqueline le Razan