Thriller SF austro-britannique, Little Joe réserve une plongée dans un univers scientifique subtilement dérangeant. Aseptisé jusque dans sa mise en scène, il reflète le souci du détail de sa réalisatrice, Jessica Hausner. Si l’Autrichienne semble emprunter la symétrie de la composition des plans à Wes Anderson, elle ne joue pas la carte de la drôlerie mais celle du malaise esthétisé.
L’enjeu de la manipulation génétique est au cœur du film de Jessica Hausner, et prend la forme d’une fleur rutilante, dont les propriétés dépassent tout contrôle. Baptisée « Little Joe », cette plante a beau être inexpressive, elle n’en demeure pas moins inquiétante. Créée en laboratoire, elle a été conçue afin de répondre au cahier des charges de la perfection pour être vendue au plus grand nombre. Aspect, parfum, et robustesse sont au rendez-vous mais, subrepticement, la plante s’éveille à la manière de la créature de Frankenstein…
Ton monocorde
L’exercice de style de la cinéaste s’accomplit à travers l’instauration d’un climat oppressant. Accentué par des touches de fantastique, ce climat est toutefois sous-exploité sur le plan scénaristique. En effet, on a le sentiment que la cinéaste passe continuellement à côté des scènes fortes que son écriture permettrait. La tension, dans Little Joe, va crescendo, pour autant, là où la paranoïa de la protagoniste aurait pu déboucher sur des paroxysmes narratifs, le ton du film reste monocorde. Reposant sur un mystère constant, l’atmosphère n’atteint jamais le climax qu’on espère et se dilue dans une succession d’échanges sans grand relief avec des personnages secondaires également sous-exploités.
Piège du huis-clos
L’arc narratif ne décolle jamais vraiment et laisse un goût d’inachevé, alors que le personnage principal, Alice, réservait une belle matière originale. Les costumes et décors monochromes, ainsi que la musique, oscillant entre percussions et sons stridents, témoignent du talent d’Hausner. Néanmoins, la frustration prime car ces outils cinématographiques ne sont pas utilisés de façon adéquate et finissent par alourdir l’ensemble. Entravée par des effets de style redondants, la trame narrative souffre aussi du piège du huis-clos. Avec une histoire restreinte à une poignée de personnages et à seulement deux entités de lieux – le labo et l’appartement d’Alice – Little Joe a vite fait de tourner en rond.
Sans être aussi abouti qu’un film de Tom Ford, Little Joe possède un aspect formel léché. Dommage que l’intérêt des premières scènes se fane à mesure que progresse l’intrigue, en dépit d’une belle promesse scénaristique. En définitive, ce long métrage étonnamment conventionnel, qui s’épuise dans des soubresauts de moins en moins crédibles, se serait mieux prêté à un format resserré.
- Little Joe, de Jessica Hausner, avec Emily Beecham et Ben Whishaw.
Présenté au 72e Festival de Cannes en Compétition.