Inspiré par le roman de Heinrich von Kleist, Arnaud des Pallières peint le portrait du « justicier » Michael Kohlhaas, marchand de chevaux au XVIe siècle, dans un style grandiose.
Pas de scénario à rebondissements chez Michael Kohlhaas. L’intrigue est simple, l’événement déclencheur énoncé dès la première scène. En allant vendre ses chevaux, Michael Kohlhaas se fait confisquer deux de ses bêtes par un baron qui exige un droit de passage. Au retour il les retrouve ensanglantées, épuisées, affamées. Le marchand va alors entamer un combat pour obtenir réparation.
Cette histoire date de deux siècles. Elle a été écrite en 1810 par Heinrich von Kleist, un écrivain allemand. Se basant sur la classique lutte de David contre Goliath, des petits contre les puissants, il faut avouer qu’elle n’a rien d’exceptionnel… contrairement à la mise en scène d’Arnaud de Pallières qui signe ici un troisième long-métrage esthétique et puissant.
Des hommes et des chevaux
La première scène, grandiose, donne le la des deux heures qui vont suivre. Grâce à un long travelling, la caméra suit l’avancée de trois hommes et de leurs chevaux le long d’une crête rocheuse. Il fait sombre et le son du tambour résonne. Où vont-ils ? Où somme-nous ? Le mystère entoure ces hommes et ces terres désolées. Son ombre discrète planera sur tout le film, cachée dans les silences de Michael Kohlhaas et les ellipses narratives.
Ces cavaliers sont guidés par un Mads Mikkelsen époustouflant. Carrure imposante et visage taillé à la serpe, le Danois joue en français avec un délicieux accent. Tout en retenue, sa seule présence épaissit l’image présente à l’écran.
Tout en retenue, la seule présence de Mads Mikkelsen épaissit l’image présente à l’écran
Lorsqu’il arrive à la frontière des terres du jeune baron, dont le père vient de mourir, se joue le premier duel entre les deux hommes, celui qui va conditionner la suite du récit. Dans la forêt, encerclés de troncs, ils se toisent. Le noble et le roturier. Le seigneur et le commerçant. La tension respire, silencieuse et lourde. Arnaud des Pallières ne la fera que peu retomber pendant son long-métrage, imposant ainsi une apnée envoûtante dans les traces du cheval de Michael Kohlhaas.
Car ce dernier ne va pas se laisser faire. Le baron évoque un droit de passage « autorisé par la princesse » qui se révèle être un faux. Notre héros le prévient : « J’irai en justice seigneur ! »
Cette justice va le débouter par trois fois, sa balance s’inclinant du côté des lourdes relations du baron. Un baron qui n’hésite pas à violenter les proches de Kohlhaas pour que celui-ci cesse son impertinence…
Cercle de violence
Le marchand de chevaux choisit alors de répondre à l’appel du sang. Toujours au nom de la justice, il regroupe une troupe de hors-la-loi, mène avec eux une vie marginale dans les bois et punit à coups d’épée les amis du baron. Tout en veillant à ce que dans son camp ne règne pas la loi du plus fort : « On ne prend pas. On achète. On n’accepte pas les dons. Les gens donnent parce qu’ils ont peur. Les pillages, les vols, c’est les seigneurs, c’est pas nous. »
Mais comment se revendiquer juste lorsqu’on tue sans autre forme de procès ? Froid et dur, Michael Kohlhaas dirige et s’exprime peu. Sous son masque, il souffre, ne prend pas plaisir à tuer. « C’est pour maman que tu fais la guerre ? » lui demande sa fille. « Non. – Pour les chevaux ? – Non. » Alors pour quoi ? Pour la beauté du geste juste ?
La partie la plus bavarde du film intervient lorsque le chef de guerre rencontre un théologien, protestant comme lui, qui s’interroge pour deux à haute voix : « Tous ces gens que tu entraînes dans la guerre, ils savent ce qui les attend ? Qu’est-ce que tu leur as raconté ? Que Michael Kohlhaas est victime d’une grande injustice ? Moi je vois que ton cœur est mauvais. Tu ne portes pas l’épée de la justice. Si tous faisaient comme toi, il n’y aurait plus ordre ni justice. » Si l’on trouve ce dialogue introspectif un peu longuet, c’est peut-être car il nous enferme une quinzaine de minutes loin des splendeurs filmées par le réalisateur.
La nature sublimée
Michael Kohlhaas aurait pu être un film banal, à l’histoire simpliste, sans âme et sans chair. Arnaud des Pallières le transforme en fresque quasi-épique, nous immerge dans une nature sauvage et charnelle. Les Cévennes sont sublimées par sa caméra et réciproquement. Nous vivons avec Kohlhaas au rythme des saisons, chacune suscitant une émotion différente. Le réalisateur filme la terre rocailleuse sous le soleil estival, dans la brume de l’aube, au milieu de la pluie nocturne… Et par temps nuageux, le soleil et l’ombre se pourchassent sous les sabots des chevaux…
Nous vivons avec Kohlhaas au rythme des saisons, chacune suscitant une émotion différente
Aux plans larges, des Pallières combine des gros plans. Il scrute, il veut que nous ressentions la même chose que son héros. Les pierres rugueuses, la sueur sur son visage, son haleine dans le froid. L’effet fonctionne grâce à un son magnifique. Chaque bruit semble amplifié et donne ainsi la touche indispensable à l’immersion totale. On entend les bottes marcher dans la boue, les bûches craquer dans l’âtre, les rapaces crier, le tissu des robes flotter dans le vent, les armes cliqueter, les cloches sonner, la corde du pendu se balancer…
En peu de mots, on suit l’aventure de Kohlhaas collé aux sabots de son cheval noir. On en saura peu de ses doutes, de ses hésitations. Il reste silencieux, comme les paysages qu’il traverse. Et finalement ce n’est pas si grave. Pas besoin d’introspection profonde, juste se laisser emporter par le galop des chevaux, à la suite d’un homme de conviction qui pensait suivre une cause juste.
- Michael Kohlhaas d ’Arnaud de Paillières, 14 août 2013, avec Mads Mikkelsen, Mélusine Mayance et Delphine Chuillot, Les films du Losange.
- La bande annonce du film