L’automne approche… Quoi de mieux que de partir en voyage avec Jim Morrison et Gene Vincent? Au son du rock’n’roll le plus sixties, Michel Embareck vous plonge au cœur des années 60, entre fiction et réalité, dans son dernier roman Jim Morrison et le Diable boiteux.
Le rock est partout, introduisait Michel Embareck dans son ouvrage Rock en vrac (2011, éd. L’écailler). Ancien journaliste au magazine Best, l’écrivain nous fait monter avec lui en Ford T pour aller manger la poussière sur les routes du Sud des Etats-Unis. Dans Jim Morrison et le diable boiteux, roman noir aux vapeurs de rhum suivant la fin des années 60, et avec elle celle du rock, Embareck balade le lecteur à la rencontre (véridique) de Jim Morrison et de Gene Vincent.
Le reste est moins authentique, assure-t-il ; il n’empêche que les deux légendes vont traverser l’année 1969 en Mustang, Smith & Wesson et alcool de riz fourrés dans la boîte à gants.
Roadhouse Blues
Décembre 1968, Jim Morrison est sur la côte Est chez sa vieille mère qu’il prétend morte dans ses interviews ; Gene Vincent, sur la côte Ouest, est lui aussi chez sa vieille mère qui refuse de rendre son fils plus alcoolique qu’il ne l’est. Tous deux tètent la bouteille en rotant face à la télé, devant le come-back mitigé du King, fidèle et dernier représentant de la musique, la vraie, pas celle des charts : le blues.
Elvis, King absolu au déhanché magique, trempé jusqu’au talon dans la rivière du gospel, est le premier trait d’union entre les deux chanteurs.
Septembre 2015, le Rôdeur de minuit ou Midnight Rambler, animateur de radio qui semble vieux comme le rock pour avoir tout connu, narre avec rythme et ironie cette époque charnière de la musique. Au fond de la Louisiane, accompagné d’Alice et de son « maquillage de vieux travelo », le vieil animateur se souvient de Gene et Jim en sifflant quelques bières.
Jim, apprenti poète devenu chanteur par hasard, rêve de cinéma et de voyages. Il est lassé de ses exubérances scéniques que le public attend à chaque concert ; c’en est assez de ramper en montrant son sexe à l’Orange Bowl de Miami. Gene, boiteux depuis une chute de projecteur et accro à la morphine, n’est plus qu’un nostalgique bedonnant, tout aussi usé d’avoir à faire Be Bop A Lula dans des salles qu’il ne remplit plus.
Pour le « Roi Lézard » et l’« archange du chaos », chacun hirsute à sa manière et bientôt camarades de défonce, tout va mal : le Vietnam, les Beach Boys, la pop, l’establishment, Elvis à Vegas… Il faut le dire, « Le rêve américain sent la poudre ».
Des accents bukowskiens
Embareck conserve dans Jim Morrison et le diable boiteux son verbe gouailleur, ironique, rappelant parfois les meilleurs dialogues d’Audiard.
Habitué des polars et des policiers, notamment à travers le bien connu et patibulaire détective Victor Boudreaux, Embareck conserve dans Jim Morrison et le diable boiteux son verbe gouailleur, ironique, rappelant parfois les meilleurs dialogues d’Audiard. Mais il offre aux deux héros un ton et une voix particuliers, précis, un langage juste et sans excès. Jim, californien bronzé aux cheveux ondulés, autoproclamé chaman, mâche et avale ses mots face à Gene, gras du bide romantique et mythomane sur les bords – qui a autant d’histoires sur l’origine de Be Bop A Lula que le Joker d’Heath Ledger sur ses cicatrices. Les expressions fusent et virevoltent dans la bouche ricanante de nos rockeurs qui éclusent Martini sur Martini dans les rades de la route 101. Jim, qu’on imagine avec un sourire de chat du Cheshire au milieu d’un zinc à Shoshone, lance admiratif à Gene : T’as le blooooouuuuuze, mec, da blooooooze.
« Entre la vérité et le mensonge existe une zone libre appelée roman. »
Comme l’épigraphe le rappelle, le livre est un roman. Le plus délectable est de savoir Embareck spécialiste du rock : ce qu’il raconte, sont-ce les rumeurs des couloirs de la rue d’Antin, où étaient situés les locaux de Best ? Ou bien de la fiction pure et dure ? Si quelques titres des Doors sont bien classés dans ma bibliothèque musicale, la vie de leur leader m’était inconnue, allant de même pour Gene Vincent. Cela amène ainsi un agréable sentiment dickien face à ces deux personnages erratiques et à la réalité de leur histoire. Si Gene n’a pas siroté du blanc dans une gendarmerie provinciale française cette fois-là, qui sait s’il ne l’a pas fait, une autre fois ?
Jim Morrison et le diable boiteux permet enfin d’interroger certaines zones obscures de l’histoire du rock, notamment la mort à Paris du leader des Doors. Sujet sensible suscitant théories et complots (la déclaration de la femme de Morrison est mensongère, Jim avait une maîtresse, …), on prend plaisir à soulever le sourcil en lisant ces pages qui écornent le « Rimbaud du rock » placardé sur les t-shirts adolescents.
On sort de ce voyage rythmé par les verres qui s’entrechoquent un peu épuisé, mais le sourire aux lèvres, comme on pouvait sortir, rue de Seine au petit matin, du Rock’n’Roll Circus après une cuite avec Keith Richards.
« Allez, une dernière binouse et aujourd’hui sera demain. »
- Jim Morrison et le diable boiteux, Michel Embareck, éd. de L’Archipel, 218 p., 17 euros, août 2016.
Arnaud Villanova