Du fil à retordre de Michelle Gallen renferme un petit bout de l’Irlande du Nord de 1994. La couleur du texte, son authenticité grivoise et ses héroïnes en font un témoignage désarmant de sincérité malgré ses traits d’humour noir.

Michelle Gallen imprègne ce texte raconté à la troisième personne du singulier d’une atmosphère étrange, entre malaise et fureur de vivre, énergie de la jeunesse et désir de fuite. Chaque mot est pesé, sa couleur et sa familiarité contribuant au caractère inimitable du roman qui se nourrit du vocabulaire nord-irlandais, du parler populaire et oralisé que l’on cultive là-bas, face aux « Rosbifs » et à leur accent digne de la BBC.
Maeve, dix-huit ans, habite cette petite ville où l’on dit ce que l’on a sur le cœur mais pas à tout le monde, où l’on ne désigne pas la même chose qu’ailleurs quand on parle de chance, où l’on qualifie l’entraîneur de l’équipe de foot de la République d’Irlande d’« aussi anglais qu’un génocide », où il vaut mieux boire une vodka-orange chez soi ou à l’étage d’un bar, sous peine de mourir sous les tirs du camp adverse.
Dans un autre contexte, Maeve serait une adolescente lambda, une jeune fille qui aime bien plaire, se maquiller et s’habiller un peu vulgairement, rire avec ses amies, prendre un verre – ou plusieurs – une fois – ou plusieurs – par semaine, qui veut quitter le nid, s’envoler vers d’autres horizons tandis que sa mère essaie de la retenir auprès d’elle tout en la poussant vers un avenir meilleur. Cette dernière a dû abandonner ses espoirs d’études, comme tout le monde dans la famille Murray, élever ses enfants, se réfugiant dans la ouate trompeuse des médicaments, aimante à sa façon, endeuillée et attentionnée quand le mal frappe, quand des bris de verre étoilent le sol et les vêtements – les rares moments de poésie dans ce livre sont ceux de violence, ou servent d’intermèdes entre deux épisodes de violence.
Les rares moments de poésie dans ce livre sont ceux de violence
« Parfois, [Maeve] avait l’impression d’être la version féminine d’Icare, passant des heures à rassembler ses plumes, à la coller à la cire chaude pour fabriquer les ailes dont elle avait besoin pour s’enfuir. Sauf qu’au lieu de l’aider, comme le père d’Icare, sa mère passait son temps à trifouiller ses ailes, à en arracher des plumes, de même que les poules en bonne santé arrachent celles des oiseaux malades. »
Seulement, Maeve ne peut être simplement cette fille lambda parce qu’elle habite justement ici, et si elle revendique son envie de fuir, comme tant d’autres, la fierté nord-irlandaise fait aussi partie intégrante de sa personnalité, cette fierté qui la cloue au sol de son « bled pourri » et lui fait regretter ses envies d’ailleurs.
« Elle était déchirée entre l’envie de voir la ville rester à jamais dans son jus, exactement telle qu’elle était ce matin-là, et celle de p...