Entre désir et rejet, le retour au village d’un jeune homme éveille curiosité et passions, dévoilant la crasse mais aussi la poésie des rapports entre les habitants. Comme souvent chez Guiraudie, il faudra déconstruire la morale pour réinventer une manière d’être au monde.

Miséricorde

Après le décès du boulanger du village, Jérémie (Félix Kysyl) revient parmi les siens et retrouve d’anciennes connaissances qui sont aussi d’anciens amants. Il a l’air banal et innocent. Ni laid ni beau, ni vieux ni jeune, ni gai ni triste, il est l’archétype du protagoniste neutre sur lequel tout peut s’écrire. Les autres sont très typés. De la femme au foyer désuète (Catherine Frot) à l’abbé un brin inquisiteur (Jacques Develey), en passant par le quadra bedonnant qui se saoule au pastis (David Ayala), Miséricorde dévoile une communauté digne d’un vaudeville qui se retrouve chaque jour attablée pour échanger les ragots du village. Mais l’apparent succès de Jérémie auprès des autres masque un mystérieux passé.

Le diable au corps

L’environnement rural, ou provincial, est récurrent chez Guiraudie. Il permet de scruter des communautés et d’analyser leurs interactions et leurs secrets. Loin de la ville et de ses simagrées, il est souvent question de retourner à la source et de se frotter à ce qui tache. Ici le spectateur est servi. La communauté mal assortie de Miséricorde ressemble à une famille recomposée. Faute de mieux, et pour pallier l’ennui et la solitude, les membres se retrouvent régulièrement pour faire le point. Défilent donc ces plans d’apéros où les protagonistes tissent des liens puis tentent d’élucider la disparition de Vincent, le fils du défunt boulanger – premier rôle de Jean-Baptiste Durand dont l’allure rappelle celle des personnages du film qu’il a réalisé l’an dernier, Chien de la casse. Il se passe enfin quelque chose au village et, rapidement, le petit événement se transforme en enquête. La police fait son entrée, à table évidemment, dans une scène qui ne manque pas de désacraliser la gravité de la situation. Mais aussi dans l’autre espace récurrent du film, la forêt, lieu du secret et du drame. Là-bas, Vincent et Jérémie se battent dans un étrange corps à corps, oscillant entre confrontation et érotisme. Y défilent des personnages qu’on ne s’attend pas à croiser, à commencer par l’abbé, qui ne cesse d’arriver dans le champ par surprise. Le personnage le plus moral en apparence semble, en réalité, être le plus mystérieux et le plus sournois. L’homme d’Église a visiblement un œil partout, y compris la nuit, quand Jérémie s’échappe de ces intérieurs fatigués...