Depuis maintenant sept ans, le Grand Palais accueille dans sa grande nef un artiste contemporain de renommée internationale pour occuper une verrière de 13 500 mètres carrés et 35 mètres de hauteur, y installant une œuvre à l’image du lieu. Après Anselm Kiefer, Richard Serra, Christian Boltanski, Anish Kapoor et Daniel Buren, c’est au tour du duo russe Ilya et Emilia Kabakov de présenter leur vision du monumental.
Monumenta est avant tout un projet permettant de rendre l’art contemporain plus accessible et plus participatif. On pénètre, se ballade dans l’oeuvre, chacun ayant son propre cheminement. De nombreux médiateurs sont disponibles à tout moment dans l’ensemble de la nef. Egalement artistes, ils expliquent l’oeuvre et délivrent leur propre interprétation laissant alors le dialogue s’installer entre l’art et le spectateur. La douce utopie de l’art contemporain pour tous est donc prête à miraculeusement se concrétiser … à condition d’accueillir un projet capable de réaliser ce défi.
Un traitement dangereux
Anish Kapoor, en installant dans la nef un énorme ballon noir remplissant l’ensemble de l’espace, aussi bien dans sa hauteur que dans sa largeur, avait peut être essuyé des critiques acerbes pour une oeuvre jugée un peu trop monumentale, tape à l’oeil et pauvre de démarche, mais on ne peut pas lui retirer le mérite d’avoir pris au mot le sujet et donc de l’avoir parfaitement respecté. Il n’en est pas de même de Buren et encore moins de nos chers Russes. Ne vous méprenez pas, ce n’est pas l’ensemble de l’oeuvre de ces artistes (tout à fait honorable par ailleurs) que je critique ici mais seulement le traitement de ce sujet en particulier, aussi excitant que piégeant pour tout plasticien se respectant.
En 2012, j’avais déjà émis une réserve sur l’oeuvre de Buren : esthétique en jouant avec la verrière et les lumières, elle n’était manifestement pas monumentale. Se concentrant uniquement sur un maximum de trois mètres de hauteur (pour une verrière de trente-cinq je le rappelle), aucun claustrophobe ne pouvait s’aventurer sous ces écrasantes ombrelles transparentes manquant d’ambition. Laissons à Buren le bénéfice du doute, celui ci avait peut être fait une erreur dans ses calculs de proportion…
Impression de déjà-vu
C’est pourquoi, en entrant dans l’étrange cité que nous propose les Kabakov, une impression de déjà vu, s’est mêlée avec un certain agacement. Si cette oeuvre était une copie, elle se verrait décerner un magnifique hors-sujet. Ces blocs de béton blanc servant de murs abritant des thèmes plus banals les uns que les autres sont tout aussi riches de démarche que le projet d’Anish Kapoor, c’est dire. Si seulement, la forme était aussi pertinente que le ballon de l’artiste britanico-indien, j’aurais pu faire preuve d’indulgence à propos de la pauvreté du travail sur l’utopie. Cependant, eux mêmes revendiquant le fait qu’ils souhaitent insister sur l’expérience plus que sur la forme assument n’avoir répondu qu’à une seule partie du sujet. Oui, l’expérience du spectateur est peut être présente, quoi que je doute de notre capacité à s’émouvoir devant des maquettes, mais dans ce type de projet, impliquant une architecture exceptionnelle, il y avait peut-être un intérêt à privilégier un tant soit peu la forme plutôt que d’enfermer le public dans des pièces manquant d’esthétique.
En bref, cela fait trois ans que Monumenta manque de monumental. Deux artistes renommés se cassant les dents, il faudrait songer soit à changer les termes du sujet soit à changer de protagonistes.
- L’étrange cité d’Ilya et Emilia Kabakov au Grand Palais, du 10 Mai au 22 Juin 2014
Cassandre Morelle