Spécialiste de l’économie des médias, du numérique et de la culture, Nathalie Sonnac vient de publier son dernier ouvrage aux éditions Odile Jacob : Le nouveau monde des médias. Une urgence démocratique.
Pari audacieux que de se lancer dans un panorama synthétique de ce Nouveau Monde abscons et polymorphe mais que certains s’arrachent à prix d’or …
Un regard d’économiste
Si Nathalie Sonnac est en partie une chercheuse en sciences sociales et en sciences de l’information et de la communication de par la polyvalence de ses activités universitaires, elle demeure avant tout une économiste. C’est bien la docteure en sciences économiques que nous retrouvons tout au long de cet ouvrage placé sous le signe de la rigueur et de l’exhaustivité. Il faut s’accrocher pour ne pas perdre le fil des manifestations de la folie des grandeurs des « mastodontes » du numérique, comme l’auteure aime à les nommer ! Les chiffres et les pourcentages fusent et se comptent en milliards de dollars ou d’euros. Nathalie Sonnac s’appuie sur des sources diversifiées, de Shoshana Zuboff à Julia Cagé en passant par Andrea Prat qui propose « le calcul d’un indice de puissance médiatique global ».
Certains chapitres tendent à la vulgarisation mais l’ouvrage reste principalement technique et s’adresse davantage aux étudiants et aux professionnels qu’au grand public. C’est à une tâche ardue que s’est livrée Nathalie Sonnac car s’attaquer à l’univers des médias et à ses mutations est une entreprise nécessairement complexe et fastidieuse : « Le nouvel espace public numérique dans lequel plateformes numériques et médias historiques évoluent est devenu un véritable Far West ». Rien n’échappe à sa vigilance d’experte. L’auteure défriche tous les domaines du numérique, de l’usage des données personnelles aux stratégies des chaînes de télévision en passant par les fake news. Nathalie Sonnac est en effet une partisane des liens interdisciplinaires et expose les relations de causalité rattachant les différents domaines disséqués : « On ne peut pas décorréler la question du financement de la création des autres missions portées par les éditeurs et qui ne le sont pas par les plateformes de streaming ». De quoi donner matière à penser aux néophytes les plus intrépides qui désirent en apprendre plus sur le sujet et qui ne savent pas par où commencer.
Défendre les intérêts français
Fidèle à sa démarche d’économiste, Nathalie Sonnac s’en tient principalement à un point de vue objectif et déductif. Dans cette même veine scientifique, l’ouvrage revêt une forte dimension juridique et les juristes ou apprentis juristes ne seront pas déçus. L’auteure s’exprime non sans mécontentement vis-à-vis de la directive TSF devenue directive des services de médias audiovisuels (SMA) : « la France est allée beaucoup plus loin, et à mon sens beaucoup trop loin : le taux retenu pour les chaînes est de 66% d’obligations en production audiovisuelle indépendante, 75% d’obligations en production cinématographique indépendante contre seulement 10% dans le reste de l’Europe (!) ». Le chapitre 2 « Stratégie industrielle et souveraineté culturelle » est particulièrement intéressant dans le sens où il met en lumière les spécificités du marché français de l’audiovisuel et les enjeux de la concurrence avec les plateformes américaines : « La télé continue d’être un média dominant qui joue encore largement un rôle de lien social, même si le Web semble peu à peu détourner le téléspectateur du petit écran. » Elle met notamment l’accent sur le caractère essentiel du service public et des chaînes publiques télévisées qui occupent une place de taille dans le financement des productions audiovisuelles françaises, bien que ces acteurs soient souvent sous-estimés et négligés : « La France est le pays qui s’avère être de loin le plus exigeant à l’égard de ses diffuseurs, comparativement aux autres pays européens en matière d’obligations, distinguant la production audiovisuelle de la production cinématographique, les services cinéma et les services non-cinéma ». Nathalie Sonnac pointe effectivement du doigt les contraintes juridiques subies par les éditeurs qui « financent des œuvres qu’ils ne possèdent pas » ainsi que par les chaînes de télévision qui « ne peuvent se constituer des catalogues d’actifs stratégiques, alors même que ce sont elles qui ont permis leur constitution ».
De l’essai didactique à l’essai engagé
Là où Le nouveau monde des médias saisit notre intérêt, c’est lorsque Nathalie Sonnac commence à nous faire directement part de ses positionnements à partir de la deuxième moitié de l’ouvrage. Car si le sous-titre « Une urgence démocratique » annonce explicitement le parti-pris de l’auteure, il faudra être patient avant de découvrir les conseils prodigués par cette sibylle de l’économie du numérique. Experte pilote du Lab Economie de la création numérique d’Hadopi, membre du Conseil national du numérique et du Conseil supérieur de l’audiovisuel, co-fondatrice du think tank Audiovisuel & Numérique du Centre d’Analyse et de Recherche Interdisciplinaires sur les Médias (CARISM) …. Nathalie Sonnac sait pertinemment ce qu’elle fait et suscite de la curiosité auprès de ses lecteurs, désireux d’en apprendre plus sur ses positions personnelles. Derrière les explications méthodiques de cette universitaire chevronnée transparaît en filigrane un engagement certain que nous sommes amenés à décrypter en lisant entre les lignes et qui transparaît plus ou moins explicitement à certaines occasions. Si Le nouveau monde des médias s’inscrit dans la lignée d’un travail universitaire scientifique en témoignant d’une maîtrise certaine de l’économie et du droit du numérique, il n’en cache pas moins un désir pamphlétaire dompté !
« Parce que défendre la liberté des médias, c’est défendre notre démocratie, il y a urgence à penser les médias comme une industrie indispensable à faire rayonner notre souveraineté culturelle et à défendre notre espace démocratique. Pour cela il nous faut une politique industrielle et culturelle ambitieuse ! »