À travers La Passagère des neiges, recueil de nouvelles publié aux éditions Zulma, Ayfer Tunç dresse le portrait bouleversant d’hommes qui s’accrochent à une virilité en ruine. Entre orgueil blessé, mensonges et solitude étouffante, ces personnages naviguent dans une Turquie en mutation, sans repères et sans tendresse. Une œuvre lucide et cruelle, d’un grand pathétisme.

Ce qui frappe d’abord dans les nouvelles de Tunç, c’est la manière dont elle montre des messieurs enfermés dans leurs contradictions, incapables d’aimer autrement qu’à travers le prisme de leur propre vanité. L’un des récits les plus marquants met en scène un homme timide à l’extrême, humilié par ses amis parce qu’il n’a jamais eu d’aventure extraconjugale. Pour prouver une virilité qui ne l’habite même pas, il va jusqu’à voler un rouge à lèvres dans le sac d’une inconnue et à s’en barbouiller le col de chemise. Ainsi maquillé, il rentre chez lui et laisse croire à sa femme qu’il la trompe. Ce mensonge absurde, presque théâtral, n’a pas d’autre but que de maintenir l’illusion d’un pouvoir de séduction illusoire. Il ne cherche ni le plaisir, ni même l’amour : seulement à être vu autrement, à s’inventer une importance.
Les hommes, ces êtres à la dérive
Ce geste, cruel, est typique de l’univers d’Ayfer Tunç : elle excelle à montrer comment les hommes en viennent à préférer une fiction humiliante à la vérité de leur vide. Le grotesque n’est jamais anodin. Il révèle une détresse profonde, celle d’hommes qui, dans une société patriarcale en crise, n’ont plus d’identité en dehors du regard des autres. Le rouge à lèvres n’est pas ici un symbole de séduction, mais une trace imaginaire d’un pouvoir qui s’effrite. Et l’épouse, ici, n’est qu’un décor sur lequel projeter l’échec. Chez Guy de Maupassant comme chez Ayfer Tunç, l’infidélité est traitée non pas comme un simple vice, mais comme un reflet des failles intérieures des personnages, dévoilant, sous un regard acerbe et lucide, les complexités émotionne...