Loin des grands récits d’effondrement où les survivantes se transforment en héroïnes guerrières, Seule d’Audrey Clees, œuvre post-apocalyptique, nous propose une expérience profondément introspective, où le combat pour la survie n’est pas seulement physique, mais surtout psychologique. Tout se tait, sauf une femme, Sophia, qui se réveille dans une ville endormie. À travers ses lettres, elle raconte cette expérience de solitude absolue, son combat pour ne pas sombrer dans la folie, et l’écho assourdissant de son isolement.

Audrey Clees fait de la solitude une matière vivante, mouvante, qui respire à travers Sophia. L’expérience de l’isolement s’approfondit au fil des lettres que l’héroïne rédige à ses proches endormis, peut-être pour toujours, alors qu’elle se réveille dans une ville vide de population et de vie : « Je retourne là où j’ai vu l’inconnue. Il n’y a personne dans les rues, à nouveau. Les trams ne circulent toujours pas, et le silence, toujours le silence. » Pourtant, cette solitude demeure inexpliquée – ni « maladie » ni « sommeil », comme le souligne Sophia en constatant l’absence de tout signe de lutte, d’endormissement ou d’épidémie. Dans ce chaos, sa correspondance à sens unique se transforme en un monologue intérieur, où ses pensées oscillent entre perte et réaffirmation, dans un mouvement constant.

Ainsi, Sophia observe : « Je suis dans un cauchemar juste avant le réveil, mais je ne me réveille pas. Je suis déjà réveillée. » Ce cauchemar qui ne prend jamais fin est à la fois une image de la stase dans laquelle elle se trouve piégée, et une métaphore de la condition humaine. Elle ajoute : « Je mets mes chaussures, je prends mon sac… et je me dirige vers l’arrêt de tram. Pas un tram, pas une annonce. » L’absence de vie n’est donc pas seulement physique, elle est existentielle. Ce n’est pas la mort qui l’entoure, mais un endormissement global, mystérieux et insoutenable. Clees nous rappelle ici que la solitude, ce silence des autres, est une part constitutive de l’expérience humaine, et que s’en libérer est peut-être un défi, un combat lancé à l’être.

Clees nous entraîne dans une méditation sur la vulnérabilité, la fragilité de la vie, et le besoin de lui redonner du sens, même dans un monde en ruine.

La mort, ombre omniprésente

La mort, ou du moins son spectre, est omniprésente dans le texte. Elle surgit d’abord sous la forme des endormis, ces êtres à jamais figés, qui peuplent encore les rues, comme des fantômes que Sophia ne parvient pas à exorciser. Puis elle se matérialise dans l’enterrement d’Aurore, cette inconnue dont Sophia découvre le corps mutilé : dans un sentiment de culpabilité, elle décide de lui offrir une sépulture improvisée, creuse un trou et l’enterre dans un jardin : « Je la roule dans la terre. Je rebouche le trou. […] Adieu Aurore, j’aurais aimé te connaître davantage »​. Un moment tragique, presque sacré, où la mort cesse d’être un concept pour devenir une présence tangible, que l’héroïne manipule de ses propres mains.

« Puisses-tu être en paix, Aurore, où que tu sois maintenant », murmure Sophia lors de cet acte funéraire improvisé. Cet enterrement, loin d’être un simple geste de survie, devient un acte d’amour, une tentative désespérée de redonner de l’humanité à un monde qui semble en être vidé. Sophia, elle-même, se bat contre la tentation de s’abandonner. Ce moment d’enterrement devient une métaphore de son propre désir d’effacer sa présence, de s’enterrer, elle aussi, dans le silence. Mais à chaque fois, elle résiste : « Vivre, c’est faire violence. » Cette phrase résonne tout au long du roman, Sophia rappelant à elle-même que pour continuer à vivre, il faut parfois aller contre ce que la situation impose : l’abandon.

En ce sens, Clees nous entraîne dans une méditation sur la vulnérabilité, la fragilité de la vie, et le besoin de lui redonner du sens, même da...