François-Henri Désérable, 25 ans, hockeyeur professionnel et doctorant en droit, vient de faire paraître chez Gallimard l’excellent Tu montreras ma tête au peuple. Rencontre.
C’est sous un ciel noir et tempétueux que je rejoins, près de l’orangerie, en un jardin du Luxembourg soudainement déserté par les touristes, François-Henri Désérable, l’auteur du très enlevé Tu montreras ma tête au peuple, paru en avril dernier dans la prestigieuse collection Blanche de Gallimard.
Way farer, pantalon de flanelle beige sur mocassins marrons sous l’orage menaçant, c’est un livre de Pierre Michon sous le coude, Le Roi vient quand il veut, qu’il m’accompagne flegmatiquement déambuler par les rues du VIème arrondissement, puis s’échouer sur une terrasse bruyante de la rue Mabillon.
Tu montreras ma tête au peuple est le premier roman de François-Henri Désérable : il y narre le récit, à travers dix courts portraits, des derniers instants vécus par dix condamnés à l’échafaud durant la révolution française.
« Cela fait longtemps que je suis fasciné par la phrase que Danton a adressée à son bourreau face à l’échafaud: ‘Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine’. Cette fascination m’a petit à petit conduit à m’intéresser aux dernières phrases prononcées par les condamnés à mort. Et il se trouve que sous la révolution, il y en a un vivier assez inépuisable».
Charlotte Corday, Jean-Paul Marat, Antoine Lavoisier
Charlotte Corday vient ainsi d’assassiner Jean-PaulMarat : on la surprend à se faire portraiturer en sa cellule par un élève de David, à qui elle explique les raisons de son acte. C’est lorsqu’elle sort sur une charrette du Palais de Justice, qu’Adam Lux s’éprend fougueusement de ses beaux « yeux en amande qui bientôt ne verraient plus que la lueur des ténèbres », et décide par amour pour elle, de se faire condamner à mort, pour ainsi la rejoindre par delà le Styx. « Le plus grand esprit du XVIII ème siècle », j’ai nommé Lavoisier, nous enseigne à mourir avec élégance. Un gardien assiste, impuissant et apitoyé, aux derniers jours de Marie-Antoinette, agonisante entre les murs humides et décrépis de la Conciergerie. Le point commun entre tous ces récits?
«Le courage, la dignité, l’élégance de tous ces hommes et de toutes ces femmes face à la mort qui les attend. En mettant peut-être à part Madame Du Barry, qui implora le bourreau Sanson de l’épargner, car elle eut une aventure avec lui, et Fabre d’Églantine qui pleurait sur la charrette le conduisant à l’échafaud parce que le Comité de Salut Public lui avait retiré sa pièce. Danton a d’ailleurs eu à son égard cette superbe phrase: ‘Mais ne t’inquiète pas mon cher Fabre, d’ici huit jours, des vers tu en feras plus que tu en voudras’ ».
Et justement, le roman de François-Henri Désérable a ceci de délicieux qu’il fourmille de ces petites phrases que, par la grâce de leur formulation, de leur élégance, et de l’héroïsme dont elles témoignent, l’Histoire a retenu: « On me reproche de n’avoir rien écrit sur Olympe de Gouges, qui a en quelque sorte inventé les droits de la femme : oui mais voilà, il ne s’est rien passé avec Olympe de Gouges, elle était sur la charrette, elle a posé sa tête sur le billot, elle a été guillotinée ! Il n’y eût ni grandes phrases, ni grands gestes. Ce n’était pas intéressant narrativement. »
La narration donc, au cœur de ce livre aux allures de récit historique : « On me dit souvent: ‘vous avez sans doute un intérêt très vif pour la révolution française et pour cette période de l’Histoire’. Pas du tout ! Je connaissais vaguement les girondins, vaguement les montagnards, mais j’aurais été bien incapable, avant de me documenter, de faire la différence entre les deux ! Cette passion pour la révolution est venue de l’écriture plutôt que le contraire ».
Cette passion pour la révolution est venue de l’écriture plutôt que le contraire
« Je voulais avant tout me mettre dans la tête de Danton, de Charlotte Corday… Je voulais que mes récits soient fondés historiquement, sans m’interdire de faire quelques petits écarts avec la vérité historique. »
En d’autres termes,« L’histoire balbutie, tâtonne, et parfois, c’est la légende qui finit par l’emporter. Elle se nourrit de ses lacunes, et c’est très bien comme ça. » (Tu montreras ma tête au peuple)
Pierre Michon, Albert Cohen, Emmanuel Carrère
Histoire ou légende, toujours est-il que c’est en une langue élégante et lyrique, que François-Henri Désérable se fait le prosateur des derniers instants d’une vie, au travers d’un recueil qui ne dépasse pourtant pas les 200 pages : « J’aime beaucoup Michon, qui fait des textes très courts. Il dit qu’il aime faire trembler la page, et qu’il ne peut pas faire trembler 500 pages »
Michon donc, aux premiers rangs des influences littéraires, mais pas que : « Le premier émoi littéraire a été Le comte de Monte Cristo, à quatorze ans. Le premier choc, Belle du Seigneur à vingt. Le troisième fut Pierre Michon, avec Les onze notamment. Il y a du Michon dans ‘Lantenac à la conciergerie’ (L’un des dix récits du recueil). Michon est le seul aujourd’hui dont on peut être certain qu’il sera encore vivant dans deux cent ans. »
Michon est le seul aujourd’hui dont on peut être certain qu’il sera encore vivant dans deux cent ans
Il y a deux livres qui m’ont réellement fait pleuré : Belle du Seigneur et D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère. J’allais le lire au FNAC Café à l’époque, car je n’avais aucune tune. Que Carrère se rassure: depuis j’ai acheté son roman en une vingtaine d’exemplaires. A tous mes groupes de TD j’offre au meilleur un livre : généralement c’est Belle du Seigneur ou D’autres vies que la mienne. »
Gageons qu’il se trouvera quelques chargés de TD, sans doute d’histoire, pour offrir à leurs meilleurs étudiants, et d’ici quelques années, Tu montreras ma tête au peuple.
- Tu montreras ma tête au peuple, François-Henri Désérable, Gallimard, 05 avril 2013, 17,50 euros