Dans Comment les États répriment. Une courte histoire du pouvoir de punir, Vanessa Codaccioni retrace l’histoire de l’idéologie sécuritaire et des modalités concrètes de répression qui irriguent la plupart des États occidentaux, à travers l’analyse de trois matrices répressives: le paradigme politique, le paradigme sécuritaire et le paradigme anti-terroriste. 

Professeure en sciences politiques à l’université Paris 8 et spécialiste en sociologie de la violence politique, de la répression, de l’appareil d’État et de la justice, Vanessa Codaccioni théorise dans Comment les États répriment trois paradigmes qui lui permettent d’analyser les modalités de répression au sein des États occidentaux. Ces paradigmes répressifs définissent la manière de surveiller et de punir des gouvernements et des institutions policières et judiciaires, et les valeurs qu’ils défendent. Leurs conditions d’émergence et de disparition sont liées à des évolutions étatiques, sociales et économiques plus larges, et constituent un miroir grossissant des matrices et des inégalités sociales des sociétés occidentales. Définissant également les manières de penser et de voir les défis sécuritaires, ces paradigmes orientent les discours et les pratiques politiques, forgeant tout un écosystème répressif. 

Ainsi, dans un court livre très accessible, Vanessa Codaccioni se concentre sur les modalités concrètes de la répression, leurs conditions d’émergence et leurs effets au sein des États occidentaux « dits démocratiques ». Elle va plus loin que la simple critique : en plaçant l’État au centre de son raisonnement, elle remet en question la société capitaliste libérale occidentale, responsable de l’omniprésence du « capitalisme sécuritaire », dont il est impossible d’échapper. 

Historiciser les modes d’emplois de la répression

Vanessa Codaccioni retrace d’abord l’histoire des paradigmes répressifs, qu’elle lie aux évolutions des sociétés occidentales. Ce sont les transformations structurelles du système international qui mènent aux mutations de paradigme et aux définitions des modèles punitifs. Le paradigme politique émerge lors de la construction de l’État moderne, et s’érige contre celles et ceux qui souhaitent concurrencer le pouvoir royal et ses monopoles. Il se concentre sur la sécurité et la légitime défense de l’État « à la fois accusateur et victime ». La protection de la « chose publique » est fondamentale, et les groupes politiques et militant.e.s sont les cibles privilégiées de l’appareil répressif, jugé.e.s dans les tribunaux politiques. 

L’abandon de la violence politique et l’entrée des groupes radicaux dans le champ électoral signent la fin du paradigme politique, car la concurrence politique devient la principale modalité punitive des opposant.es. La vie sociale est pacifiée, et l’entrée des États dans la logique capitaliste, libre-échangiste et libérale induit une nouvelle forme de délinquance – le vol –, permise par l’attachement aux biens et à la propriété . L’autrice définit le concept de « punitivité néolibérale » comme ce qui dirige l’attention de l’appareil répressif vers les atteintes non plus aux personnes, mais aux biens matériels : le paradigme sécuritaire renforce et produit ainsi une « économie de la possession ».

Enfin, au début des années 2000, le paradigme anti-terroriste naît de l’absence d’ennemi constant (ici : l’URSS) et de l’apparition du terrorisme islamiste. La population cible visée par les dispositifs de sécurité est élargie, et incorpore l’État dans la valeur des choses à défendre : le paradigme anti-terroriste réintègre l’idée de « légitime défense de l’État ». Ici encore, les valeurs du système international favorisent les logiques répressives : la mondialisation et la globalisation permettent la mise en place de traque et de surveillance à grande échelle, les « ennemis de l’État » se trouvant autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. 

“Vanessa Codaccioni explique que la répression, principale matérialisation du monopole de la violence de l’État, fait « redoubler les inégalités ».”

L’alimentation étatique de mutations systémiques 

Cependant, l’autrice explique également que les mutations de paradigme sont le résultat de mobilisation d’acteur.trices ou d’institutions étatiques ayant un intérêt dans leur apparition ou disparition. Les modèles de répression sont éminemment systémiques. Elles découlent donc des changements d’orientation politique des gouvernant.es et de la surpolitisation des problèmes sécuritaires. Ces personnalités politiques votent les lois qui répriment leurs ennemi.es personnel.les et politiques, ou des mouvements remettant en question le monopole de la violence légitime de l’État. Ainsi, étudier les évolutions de la répression permet à Vanessa Cod...