Voilà, j’ai fini le jeu. J’ai terminé Instagram. Après de longues heures évaporées en ce qui m’a semblé n’être qu’une minute, entre deux amies éméchées qui hurlent “GIRL DINNER” en buvant des espresso martini, et une compilation de mecs persuadés de pouvoir faire atterrir un avion, il m’est apparu. Le boss de fin, qui me regarde droit dans la rétine et me demande si je veux vraiment continuer à faire défiler les réels.

Ça m’était déjà arrivé, il y a quelques années, Netflix m’avait demandé si j’étais “toujours là”. Alors que je comptais enchaîner l’épisode suivant de Stranger Things et tous les autres jusqu’à ce que mon réveil sonne, j’avais vu mon reflet dans l’écran noir rétro-éclairé, mes joues creusées, mon teint pâle. J’avais tout de même cliqué sur poursuivre. Sur TikTok aussi, où l’algorithme avait compris plus vite que moi ma bisexualité et mon intérêt pour la broderie, j’avais eu une annonce du genre. À chaque fois je les ai balayées du pouce, vexée que l’on me contrarie dans mon moment de brain rot quotidien. Bien sûr que je veux vraiment continuer à faire défiler les réels. Comme Chloé Delaume dans sa télévision, moi, j’habite dans mon téléphone portable.

Cette fois, je laisse la publicité faire son travail. Pour quelques euros par mois, cette application bloque celles de mon choix selon la limite de temps que je définis. Coup de chance, je connais mon numéro de carte bancaire par cœur, je le renseigne, la télécharge et voilà qu’elle me demande mes “objectifs”. Je n’en ai aucun. J’indique vingt minutes pour Instagram, en espérant que le chemin retour soit facile, et j’actualise. Machinalement mes doigts se rendent sur l’icône couleur sorbet, mais une fenêtre m’indique que j’ai dépassé la limite quotidienne d’usage. Évidemment.

C’est parti pour une détox digitale à laquelle je n’ai rien demandé. C’est à la mode, j’ai lu dans un journal très sérieux que l’année dernière, c’était +60% de recherche sur “détox digitale”, toutes mes influenceuses préférées partagent leurs techniques pour rééquilibrer son circuit de récompense, comme si le mien l’avait déjà été, et les mêmes types de la Silicon Valley qui se tuent à nous pourrir le cerveau se rachètent une conscience à coup d’applications pour déconnecter.  Je pose mon téléphone à côté de moi dans mes draps, et pendant que je scrolle mon plafond blanc où rien ne se passe, je me souviens que j’ai promis à mon mec et ma mère de réduire mon temps d’écran. C’est déjà ça de pris.

Je décide de sortir, mon ordinateur portable dans mon sac, pour avancer sur le roman qui n’avance pas dans mes brouillons. Je me rends dans un coffee shop plus loin dans ma rue, un de ceux très à la mode qui fait des boissons de toutes les couleurs et qui pratique des prix qui ne défient aucune concurrence. Sur place, j’ai à peine le temps de commander un matcha latte au lait d’avoine et de sortir mon ordinateur que la barista se rue vers moi et pointe du doigt un panneau avec un ordinateur barré. Ça a le mérite d’être clair. Je suis tentée de sortir mon téléphone...